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Alexandre Desplat | Light & Darkness
mercredi 24 avril 2013
« Ephéta…
Il y avait longtemps que m’emplissait le bruit feutré de ce mot. Il me comblait, au long des jours, d’une douceur obsédante, comme de lèvres vers moi venues, en moi ouvertes plutôt, poussant en leur souffle l’infinie fragilité et toute la persévérance du désir.
« Ephéta » me murmurais-je, « ouvre-toi ! ». Et comme je ne comprenais rien au sens de cette voix, j’ouvrais mes yeux d’aveugle de Jéricho, j’ouvrais mes mains qui ne tenaient rien, qui ne tenaient à rien, j’ouvrais la bouche, c’était pour ne rien dire, j’ouvrais, j’ouvrais, je ne savais pas ce que j’ouvrais, c’était le vide, je n’avais rien à ouvrir, je disais, je ne pouvais que répéter éphéta, éphéta, éphéta…
Dans ma torpeur, je ressassais jusqu’au dégoût toutes les métaphores de l’ouverture : ouverture de l’esprit et du coeur, ouverture des frontières, ouverture de la chasse, ouverture de Tannhauser, n’importe quoi, les expressions du dictionnaire m’engluaient les méninges, j’étais expulsé de toute véritable pensée et finalement c’était, bien plus qu’une ouverture, une béance sans fond qui m’aspirait, hurleur de point du jour, sans recours, et comme sans forme, j’étais le petit-fils de Robinson, Dieu sait quel raz de marée m’avait privé de mon île, je sombrais mollement sans plus d’être que le vent qui me soufflait son éphéta ! éphéta ! éphéta ! Il me semblait n’avoir pas dormi alors que je m’éveillais à la limite de ce mot comme à l’autre bord d’un rêve sans image, j’ouvrais la bouche et ce qui refluait en mon cœur avec ma salive c’était la fragilité même du désir et son infinie persévérance. Alors, accoudé sur le bastingage d’une nouvelle phase du temps, je savais que j’étais en attente et c’était ma seule certitude. »
clc