arnaud maïsetti | carnets

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Radiohead | Et plus encore

mardi 28 avril 2009


How i made my million, Radiohead (face B du single néo-zélandais de OK Computer, 1998)


La voix qui vient s’appuyer sur les notes reste derrière, presque au dehors des accords répétitifs posés au devant comme en abri. On entend la fatigue dans la voix plus que les mots ; et de cette fatigue, on perçoit les dernières secousses du corps avant le lâcher prise. D’abord, les mots qui sont dits ne concernent rien, ne reposent sur rien d’autre que sur le rideau de notes qui s’érige peu à peu - pure adresse. Et peu à peu, c’est sur ces premiers mots que les suivants vont s’appuyer pour défaire à mesure la voix dans la tenue incertaine de la note. Ce qui s’étire, je l’entends, c’est cela - cet appui sur la douleur qui se nourrit d’être fouillée, se prolonge d’être prononcée, encore, formulée dans la répétition qui la creuse.
Ce qu’il y a de juste ici : c’est ce désaccord sur toute la chanson qui le tient dans un équilibre toujours sur le point de se rompre. Tom York a enregistré la chanson chez lui, sur son piano désaccordé - maquette de travail dans son esprit, destiné à être repris avec le groupe. Quand les autres musiciens ont entendu cet enregistrement, ils n’ont pas voulu y toucher : la chanson sera glissée en face b lors de la sortie du single néo-zélandais de "no surprises" (février 1998). Impossible à toucher sans détruire ce qui a construit ces trois minutes, non pas parfaites, mais si justement imprécises et toujours menacées d’effondrement (les accords qui terminent les phrases, toutes les phrases de la mélodie, me semblent toujours derniers, à chaque écoute).

En arrière du piano, plus lointain encore que la voix, il y a des bruits irréguliers qui se forment et s’effacent, parasitent la chanson - ou la comblent. C’est, dit-on, l’amie de Tom Yorke qui range la pièce ; j’entends, pour ma part, des bruits de machine à écrire, les doigts tapant sur des touches. Ces bruits, ils n’appartiennent pas à la chanson, mais à la vie qui passe derrière pendant la chanson - quand la musique voudrait s’en extraire, il y a cette inscription du hasard qui la rabat sur la vie - quand la musique voudrait se suspendre dans sa propre durée, elle ne fait que s’inscrire au sein d’un temps où le bruit du monde est moins mesuré, moins régulier, que la mécanique du chant. À la jointure, entre cette mécanique et cette liberté sans loi, il y a ce piano désaccordé, cette voix à peine juste : et cela fait l’extrême équilibre de ce moment. Ce qui se fait se défait à mesure, mais demeure jusqu’à la dernière seconde là - présence qui se constitue dans la crainte de son effacement toujours prochain.

Dans les paroles, les mots qui reviennent à la fin, "let it fall" - dans la voix, tout le contraire de ce que cette expression veut dire ("ne t’en fais pas : peu importe" : et le timbre qui cache mal que c’est précisément cela, oui, qui importe) - comme on rassure quelqu’un avec sa propre peur, comme on est capable à certains moments d’en assumer tout le poids pour en retirer à l’autre la charge : comme on a pu dire, un million de fois, combien tout ira pour le mieux, bien sûr, que l’orage évitera la route, que la douleur ne restera pas. Comme on est capable de répéter infiniment : oui, ne t’en fais pas, et comme chaque répétition dément un peu plus ce qu’on vient de dire - alors, on le répète, espérant conjurer ce sort qui s’amplifie (et le dernier accord plaqué qui cesse la musique plus qu’il ne la termine)


(les paroles, et ma traduction :

I was stronger

I was better

Picked you out

j’étais plus fort,

j’étais meilleur que cela,

je t’ai repoussée.

Now don’t say a word

No don’t yell out

Nevermind

Mais désormais, n’ajoute rien

Non - ne crie pas

Et oublie tout cela

Let you out

Led you back

Safe, warm

Sit down

Je te rejette

puis te ramène auprès de moi

en sécurité, bien au chaud

allez : assis toi

Let it fall

Let it fall

Let it fall

Let it fall

ne t’en fais pas

ne t’en fais pas

ne t’en fais pas

ne t’en fais pas