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Vies du site | Mues & métamorphoses

[tout a changé]

mercredi 1er juin 2022


Depuis 2009, ces pages proposaient un même visage. Fabriquées à mains nues avec l’aide précieuse de Pierre C., à partir des squelettes façonnées par Julien Kirch pour une version antérieure de Remue.net, elles avaient conservé l’aspect austère et brut qui voulait résister autant que possible à la logique verticale des blogs pour recomposer par blocs des passages horizontaux, essayant d’opérer des mises en relations de textes à textes, en fonction de leur nature composite, leur désir de frayer ici ou là, les accidents qui exigent soudain telles bifurcations.

On le sait, ce qu’on lit avant les mots, c’est ce qui permet qu’on les voie : ici, les systèmes de gestion de contenu qui rendent possibles l’affichage de la page. Au temps jadis où régnaient les puissantes plateformes dédiées à la publication des blogs (que sont-elles devenues ?), SPIP présentait l’avantage d’être libre et d’une souplesse potentiellement infinie : on pouvait partir d’une page blanche, littéralement. On s’y lançait même sans rien connaître du codage et des langages HTML, on apprenait les termes PHP et MySQL ; on ouvrait des balises. La nuit, on remplissait les feuilles de style CSS. Parade sauvage.

Le site, contre le blog, se constituait comme autant de pages autonomes, mais pouvait s’organiser selon des lois d’enchâssement précises ou lâches ; on percevait tous combien aux logiques d’empilement s’ouvrait un mode d’organisation plus trouble et aberrant — fabriquer un labyrinthe devenait possible. Certains d’entre nous, plus libres et audacieux, plus joyeusement insensé aussi, avaient rapidement cédé à la tentation. Je restais attaché pour ma part à ces pages à affichage unique — fond presque blanc (on apprenait que le blanc pur rendait difficile la lecture, qu’il fallait accentuer ou atténuer le blanc), texte quasi seul, flottant sur l’écran, relié par quelques secrets. Des pans entiers du site n’étaient affichés que dans les marges inconnues. Il fallait avancer une page après l’autre : autant que le chemin soit le plus dégagé possible.

C’était fatal. Est arrivé ce jour, plus de dix ans plus tard, où mes limites ont atteint leurs propres limites. Mes efforts acharnés pèsent maintenant de peu devant ce qu’il faut faire pour simplement tenir droit ces pages, tandis qu’une redoutable mise à jour de Spip (4e du nom) allait ruiner tout l’édifice déjà techniquement bancal.

Heureusement, quelques-uns d’entre nous savent les énigmes les mieux gardées du web. Je sais gré à Joachim Séné — l’auteur (entre mille autres choses) de L’Homme heureux au sous-titre merveilleux (« détruire internet ») paru aux éditions publie.net, et d’un site précieux pour se repérer dans le chaos de ces jours —, est aussi l’auteur de sites innombrables, architecte virtuel qui n’a pas le vertige, capable de grimper les lignes de code bras tendus. C’est lui qui a commis l’espace dans lequel se trouvent désormais ces carnets.

Grand merci à lui, et reconnaissance.

Pour se repérer dans le labyrinthe, il y a cette ruse d’enfant quand on ne dispose pas de fil, ou de traitresse éplorée. Il suffit de poser la main sur une paroi et d’avancer en suivant le chemin donné par l’un des murs : il finira forcément après mille détours par conduire à la sortie. C’est l’immense avantage de ce labyrinthe-ci : n’ayant pas d’entrée, il ne possède pas de sortie, ni murs d’aucune sorte ni paroi — on s’y perd immédiatement ; pour s’échapper, il suffit de fermer l’écran. C’est de l’autre côté de la vie.