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Paul Claudel | « Sur le chemin du difficile avenir »
Me voici, Imbécile, ignorant, / Et je tourne la face vers l’Année
vendredi 9 juillet 2010
Tête d’Or, ouverture — Première version (1898)
Lecture de Laurent Terzieff
Les champs à la fin de l’hiver.
Entre, au fond, Simon Agnel, en blouse, portant sur son épaule un corps de femme et tenant une bêche. Il mesure la terre et commence à creuser une fosse.
Entre, sur le devant, Cébès, à pas lents.
CÉBÈS. — Me voici, Imbécile, ignorant,
Homme nouveau devant les choses inconnues,
Et je tourne la face vers l’Année et l’arche pluvieuse, j’ai plein mon cœur d’ennui !
Je ne sais rien et je ne peux rien.
Que dire ? que faire ?
À quoi emploierai-je ces mains qui pendent ? ces pieds qui m’emmènent comme les songes ?
Tout ce qu’on dit, et la raison des sages m’a instruit
Avec la sagesse du tambour ; les livres sont ivres. Et il n’y a rien que moi qui regarde, et il me semble
Que tout, l’air brumeux, les labours frais,
Et les arbres, et les nuées aériennes,
Me parlent avec un langage plus vague que le ia ! ia ! de la mer, disant : « ô être jeune, nouveau ! qui es-tu ? que fais-tu ?
Qu’attends-tu, hôte de ces heures qui ne sont ni jour ni ombre,
Ni bœuf qui hume le sommeil, ni le laboureur attardé à notre bord gris ? »
Et je réponds : Je ne sais pas ! et je désire en moi-même
Pleurer, ou crier,
Ou rire, ou bondir et agiter les bras !
« Qui je suis ? »
Des plaques de neige restent encore, et je vois la haie des branches sans nombre Produire ses bourgeons, et l’herbe des champs,
Et les fauves brebillettes du noisetier ! et voici les doux minonnets !
Ah ! aussi que l’horrible été de l’erreur et l’effort qu’il faut s’acharner sans voir
Sur le chemin du difficile avenir
Soient oubliés ! ô choses, ici,
Je m’offre à vous !
Voyez-moi, j’ai besoin
Et je ne sais de quoi, et je pourrais crier sans fin
Comme piaule le nid des crinches tout le jour quand le père et la mère corbeaux sont morts !
Ô vent, je te bois ! ô temple des arbres ! soirée pluvieuse !
Non, en ce jour, que cette demande ne me soit pas refusée, que je forme avec l’espérance d’une bête !