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William Shakespeare | « La reine Mab vous a fait visite »
Juliette Capulet ou le feu du désir
jeudi 31 octobre 2013
31 octobre, ce soir — quand on y songe. Juliette a quatorze ans au début du drame, c’est bientôt son anniversaire, dans le feu de l’été : le 1er août, le jour de Saint-Pierre-ès-Liens, dit la nourrice, elle fêtera ses quine ans. Si on osait (on ose trop peu), on remonterait en arrière, et on compterait sur ses doigts, pour voir quel jour terrible et joyeux le désir a fait naître le désir de lui donner naissance : on tomberait sur le 31 octobre, terriblement, joyeusement funeste. Nuit des esprits, dans l’Angleterre du Grand Will, des Grands Esprits (pas des déguisements dont aujourd’hui on affuble les enfants pour vendre des déguisements). Non, c’est la nuit des morts et des cadavres levés de la terre, la nuit des cimetières que les villes hantent, et les corps. On ne parle jamais assez de cela : le jour où Juliette fut conçue était cette nuit-là, et en elle le feu déjà, de ces morts intérieurs. 9 mois plus tard, quand elle est née, c’est l’autre feu, de Vérone en plein été de braise, et chaque année, elle fêtera son anniversaire dans ce feu, et ce désir de croître encore. En elle, les esprits du All Hallows Eve, ces légendes de Sabbat, ces sorcières qui n’ont rien d’enfantins. Juliette est innocente de cela, bien sûr, coupable aussi, en regard du monde, oui — d’avoir été conçue dans ce feu, ce soir-là qui est aussi ce soir, dans cette glaise, dans cette joie aussi, de conjurer la mort en donnant la vie.
Pensées à Juliette Capulet, au désir qui l’a fait naître, follement.
Et à la Reine Mab.
MERCUTIO —
Oh ! je vois bien, la reine Mab vous a fait visite. Elle est la fée accoucheuse et elle arrive, pas plus grande qu’une agate à l’index d’un alderman, traînée par un attelage de petits atomes à travers les nez des hommes qui gisent endormis. Les rayons des roues de son char sont faits de longues pattes de faucheux ; la capote, d’ailes de sauterelles ; les rênes, de la plus fine toile d’araignée ; les harnais, d’humides rayons de lune. Son fouet, fait d’un os de griffon, a pour corde un fil de la Vierge. Son cocher est un petit cousin en livrée grise, moins gros de moitié qu’une petite bête ronde tirée avec une épingle du doigt paresseux d’une servante. Son chariot est une noisette, vide, taillée par le menuisier écureuil ou par le vieux ciron, carrossier immémorial des fées. C’est dans cet apparat qu’elle galope de nuit en nuit à travers les cerveaux des amants qui alors rêvent d’amour sur les genoux des courtisans qui rêvent aussitôt de courtoisies, sur les doigts des gens de loi qui aussitôt rêvent d’honoraires, sur les lèvres des dames qui rêvent de baisers aussitôt ! Ces lèvres, Mab les crible souvent d’ampoules, irritée de ce que leur haleine est gâtée par quelque pommade. Tantôt elle galope sur le nez d’un solliciteur, et vite il rêve qu’il flaire une place ; tantôt elle vient avec la queue d’un cochon de la dîme chatouiller la narine d’un curé endormi, et vite il rêve d’un autre bénéfice ; tantôt elle passe sur le cou d’un soldat, et alors il rêve de gorges ennemies coupées, de brèches, d’embuscades, de lames espagnoles, de rasades profondes de cinq brasses, et puis de tambours battant à son oreille ; sur quoi il tressaille, s’éveille, et, ainsi alarmé, jure une prière ou deux, et se rendort. C’est cette même Mab qui, la nuit, tresse la crinière des chevaux et dans les poils emmêlés durcit ces nœuds magiques qu’on ne peut débrouiller sans encourir malheur. C’est la stryge qui, quand les filles sont couchées sur le dos, les étreint et les habitue à porter leur charge pour en faire des femmes à solide carrure. C’est elle…