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Kafka | « Et tu rêves du message »
quand la nuit vient
mercredi 22 mai 2013
Kafka, "Un message important" (trad. Laurent Margantin, dans Chacun porte une chambre en soi, éd. Publie.net)
On raconte que c’est à toi l’homme seul, le misérable sujet, la minuscule ombre face au soleil impérial enfuie dans le lointain le plus lointain, on raconte que c’est à toi justement que l’Empereur, depuis son lit de mort, a envoyé un message. Il a fait s’agenouiller le messager et lui a murmuré le message dans l’oreille ; l’Empereur y tenait tellement qu’il se le fit répéter à l’oreille. En hochant la tête, il a confirmé l’exactitude de ce qui avait été dit. Et devant tous ceux qui assistaient à sa mort – tous les murs faisant obstacle ont été abattus, et sur les vastes et hauts perrons s’élevant vers l’horizon se tenaient en cercle les dignitaires de l’Empire – devant tous ceux-là, il a envoyé le messager. Le messager s’est aussitôt mis en route ; un homme fort, un homme infatigable ; un bras tendu devant lui, puis l’autre bras, il se fraye un passage à travers la foule ; s’il rencontre de la résistance, il montre le signe du soleil sur sa poitrine ; il avance ainsi facilement, comme nul autre. Mais la foule est si grande ; leurs maisons n’en finissent pas. Si un espace libre s’ouvrait, comme il volerait, et bientôt tu entendrais les coups magnifiques de ses poings contre ta porte. Mais au lieu de cela, comme il se donne de la peine en vain ; il en est encore à tenter de traverser les appartements du palais intérieur ; il n’ira jamais au-delà ; et s’il réussissait, rien ne serait gagné ; il devrait se battre pour descendre les escaliers ; et s’il réussissait, rien ne serait gagné ; il lui faudrait traverser les cours ; et après les cours, l’enclos du deuxième palais ; et de nouveau des escaliers et des cours ; et de nouveau un palais ; et ainsi de suite pendant des siècles ; et si enfin il se précipitait hors de la dernière porte – mais jamais, jamais cela ne pourrait arriver – il verrait la Ville Impériale devant lui, le centre du monde, entièrement rempli de ses propres déchets. Personne ne pénètre ici, même avec le message d’un mort. – Mais toi, tu es assis à ta fenêtre et tu rêves du message quand la nuit vient.