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René Char | « Une échelle de plus en plus nue »
À l’âge d’homme
dimanche 29 juillet 2012
René Char, Fureur et Mystère, « Partage formel », in Seuls demeurent (1938-1944)
A l’âge d’homme, j’ai vu s’élever et grandir sur le mur mitoyen de la vie et de la mort une échelle de plus en plus nue : le rêve. Ses barreaux, à partir d’un certain progrès, ne soutenaient plus les lisses épargnants du sommeil. Après la brouillonne vacance de la profondeur injectée dont les figures chaotiques servirent de champ à l’inquisition d’hommes bien doués mais incapables de toiser l’universalité du drame, voici que l’obscurité s’écarte et que VIVRE devient, sous la forme d’un âpre ascétisme allégorique, la conquête des pouvoirs extraordinaires dont nous nous sentons profusément traversés mais que nous n’exprimerons qu’incomplètement faute de loyauté, de discernement cruel et de persévérance. Compagnons pathétiques qui murmurez à peine, allez la lampe éteinte et rendez les bijoux. Un mystère nouveau chante dans vos os. Développez votre étrangeté légitime.
Je suis le poète, meneur de puits tari que tes lointains, ô mon amour, approvisionnent.
Par un travail physique intense on se maintient au niveau du froid extérieur et, ce faisant, on supprime le risque d’être annexé par lui ; ainsi, à l’heure du retour au réel non suscité par notre désir, lorsque le temps est venu de confier à son destin le vaisseau du poème, nous nous trouvons dans une situation analogue. Les roues – ces gravats – de notre moulin pétrifié s’élancent, raclant des eaux basses et difficiles. Notre effort réapprend des sueurs proportionnelles. Et nous allons, lutteurs à terre mais jamais mourants, au milieu de témoins qui nous exaspèrent et de vertus indifférentes.