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Babylone | Le livre

Aux éditions de l’Arbre Vengeur, septembre 2025

vendredi 12 septembre 2025


Ce 12 septembre, paraît aux éditions de l’Arbre Vengeur un récit autour de la ville de Babylone, ses rues, ses rêves, son nom et sa malédiction. La biographie d’une cité monstrueuse et de son ombre portée jusqu’à nous.

Dans ces pages ici, je déposerai le carnet de feuilles volantes qui m’a conduit à raconter cette histoire. Ici, une première façon de m’expliquer avec cette vie.


« ÉCRIRE LA BIOGRAPHIE D’UNE VILLE »

Après avoir écrit une vie du dramaturge Bernard-Marie Koltès, puis celle de Saint-Just, l’Archange de la Révolution, et d’Etienne Brûlé, premier coureur de bois des Amériques — chacun d’eux en quête du lieu et de la formule capables de rendre habitable ce monde dans le désir d’abord de le nommer autrement —, il fallait fatalement que ce monde lui-même se dresse et se ramasse dans le nom d’une ville : une ville-monde où se serait jouée l’Histoire en entier, ville qui fut pour cela glorieuse et maudite, avant d’être oubliée, et dont il ne reste plus rien que son nom, Babylone.

Écrire une biographie de Babylone donc, et l’écrire dans l’oubli que cette ville a laissé, oubli dans quoi ses légendes ont pris forme. Car avec ce nom, Babylone, se lève bien autre chose que la ville historique, mais des images et des histoires, ce qui excède le réel : l’idée de splendeur et de décadence, la puissance, la gloire et le chaos, l’ordre atroce et la confusion, la volonté de mettre le monde sous sa coupe et le mélange des langues, la putain biblique et le pur désir d’Orient. Une ville absolue dans la mesure où Babylone est un mythe absolu. Alexandre la choisit pour capitale du monde ; c’est là qu’il trouva la mort. De la Ziggurat de Babylone, centre rituel et politique, est naît une image, la Tour de Babel, fable sacrée dépositaire d’une théorie du langage. Quant aux fameux Jardins suspendus, elles sont la seule merveille du monde qui est fictive. Pourquoi ? Décidément, Babylone est autant une ville qu’un texte saturé d’images, et c’est seulement en l’écrivant tel qu’on pourrait s’en saisir et mieux voir que nous marchons encore dans ces maudites rues.

C’est que la cité impériale de la Basse-Mésopotamie, l’une des premières mégalopoles du monde, a largement disparu non pas seulement recouverte par le désert d’Irak, mais par sa légende, celle d’une ville abominable et abominée. Et sous cette abomination se dit celle que l’on voue à l’égard de toute domination : Babylone comme insulte jetée sur toute puissance régissant l’ordre du monde.

Se rêver archéologue donc, des mythes et des histoires, mais à mesure que s’époussettent ces images en ruines, apparaissent d’autres ruines, plus friables peut-être, mais plus tangibles, même si largement illisibles, écrites dans la langue de Sumer et d’Akkad et le cunéiforme brutal, inscrivant le nom des rois et leurs rêves dont certains prirent corps dans de véridiques massacres, et sous les voûtes de réels palais donnant sur des ruelles véritables où vivaient et mourraient des foules semblablement réelles que nous. Qu’en reste-t-il ? Nous, quelque chose de nous que nous ne savons pas nommer, cet oubli dont nous sommes faits.

Cette biographie voudrait tenir ensemble le récit de la ville historique avec son mythe qui l’a effacé, le second procédant du premier comme l’écriture de l’Histoire.

Babylone. Par cette ville et ce nom furent inventés, comme d’un seul et même geste, la ville, l’écriture et les dieux. Comme si la ville, l’écriture et les dieux étaient une seule et même chose d’argile et qu’elle s’appelait Babylone. On inventa donc la ville et l’écriture et les dieux pour une même raison peut-être, qu’on ignore — était-ce pour conjurer l’oubli ? Sauf que l’Histoire qui naît aussi dans cette encoche que fut l’art d’écrire ne racontera plus que des histoires de destruction, de rois renversés, de peuples disparus ou de langues perdues.

Comment la dire dès lors ? Aller à sa source, bien sûr, entre Tigre et Euphrate, tâcher de voir comment Babylone fut érigée, suivre les intrigues de cour et les mises au pas des soulèvements, suivre la chronique des conquêtes et des désastres, lever les noms de Sargon d’Akkad le Grand, d’Hammurabi et d’Alexandre qui ne l’étaient pas moins, et entre ces noms, faire courir celui de Gilgamesh — et raconter l’ahurissante aventure de l’écriture, son invention plus de trois mille av. J.-C., et son oubli pendant des siècles, avant son déchiffrage au milieu du XIXe s. Voir comment Babylone est devenue autre chose qu’elle, une injure donc, autant qu’une hantise. Moins une ville qu’un texte où se lisent en miroir tous les textes dans toutes les langues.

C’est pourquoi elle porte toutes les villes dans son ventre : et c’est pourquoi elle fut tant maudite dès sa naissance et jusqu’après sa mort, aujourd’hui : il suffit de regarder autour de nous. C’est que Babylone, bien après la mort de la ville, n’est pas morte : la preuve. On en espère encore la chute et elle tient désespérément debout.

Cette biographie n’écrirait donc pas la ville de sa naissance à sa mort, mais l’histoire de la façon dont cette vie est parvenue jusqu’à nous et n’en finit pas de ne pas mourir. Loin d’être un livre d’Histoire, il est un récit désirant lire dans cette ville qui n’a pas cessé de tomber, sous les armes ou dans les insultes, le texte de notre appartenance. Ce serait donc l’impossible biographie d’une ville qui n’existe que dans la prolifération de ses histoires et l’éclatement des légendes qui ont donné naissance à notre monde. Ce livre raconte ainsi surtout la ville qui n’est plus, et dont l’absence a rendu possible sa réécriture infinie dans les marges du savoir et de l’imaginaire. Babylone, née de l’écriture, est ainsi vouée à être livrée après sa mort à l’écriture, autant dire au délire.

Longtemps après l’abandon de son site, on continuait toujours de recourir à ce nom, Babylone, pour désigner bien autre chose, mais quoi ?

J’aurais voulu répondre à cette question, depuis le récit de sa naissance, traquant les soubresauts véritables de cette ville qui se trouve quelque part encore sous les dunes d’Irak dans lesquelles l’ont tant cherché en vain les explorateurs qui n’y ont trouvé que des fragments de tablettes, des ruines, du sable et leur mort, jusqu’à ses chutes innombrables, mais en partant aussi à la recherche des images qu’elle nous a laissées, pour arracher à ces dunes et à nos propres rêves ce nom qui demeure encore, Babylone, où vivent les histoires qu’elle possède encore, dans l’espoir que, si le passé nous donne de nos nouvelles, Babylone soit notre messagère.

Puisque chaque époque rêve la suivante, suivant le mot de Michelet, sans doute est-il utile aujourd’hui de mieux percevoir de quel cauchemar nous sommes issus pour mieux voir celui qui nous enveloppe et mieux s’armer de patience pour conjurer ses malédictions — et que tombe Babylone pour que se lèvent d’autres mondes possibles.


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