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Koltès | 1968, Casarès et le choc Medea
samedi 27 janvier 2018
Pour accompagner la parution le 1er février du récit biographique sur la vie et l’œuvre de Bernard-Marie Koltès, chaque jour une vidéo, un enregistrement ou une image autour du dramaturge.
C’est la naissance véritable. Pour déjouer l’illusion biographique dont parle Bourdieu – croire que la vie se développe comme un destin –, il faut évidemment écrire contre l’origine, trouver les voies d’un contre-destin. Et pour une vie qui s’est éprouvée et écrite pour se donner au-devant d’elle ses origines, l’évidence se redoublait. La naissance de Koltès, elle aura eu lieu à 19 ans, dans un théâtre.
En janvier 1968, Medea de Sénèque, que met en scène Jorge Lavelli (dans la traduction de Jean Vauthier), est représenté à la Comédie de l’Est – qui deviendra le Théâtre National de Strasbourg. Sur scène, des dizaines de musiciens interprètent la partition de Iannis Xenakis sous la somptueuse machinerie conçue par Michel Rafaelli.
Vingt ans plus tard, quand on interrogera Koltès sur ce qui décida de son désir de théâtre, il dira qu’il a tout oublié de la pièce, de l’auteur et du metteur en scène. Mais qu’il se souvient encore de l’actrice qui ce soir-là l’incendia.
Maria Casarès, née en Espagne, est arrivée en France en 1938 avec sa famille qui fuyait le Franquisme. Son corps, la puissance monstrueuse de sa présence, l’évidence d’une brutalité faite au langage, à la vie – cette étrangeté manifeste qui dévisage –, Koltès la perçoit immédiatement comme un appel. Il prend ce soir-là la décision de renoncer à tout (ses études de journalisme qu’il a peine commencées, une vie sociale dans le droit fil de son éducation), et de s’engager dans le théâtre.
Plus tard, quand il faudra écrire, il dira "Je pense à Casarès, et je saurai". Sûr – non pas de ces forces – mais des forces que soulevaient alors à ces yeux la tragédienne. Des années après, il accrochera un portrait de l’actrice pour le soutenir dans les impasses qu’il rencontrait – le visage dévisageait, appelait à d’autres forces.
C’était fatal : il finira par rencontrer Casarès : en 1972 (elle donnera sa voix à sa première pièce pour la radio – L’Héritage), au début des années 1980 (c’est pour elle qu’il écrit le rôle magnifique de Cécile dans Quai Ouest, première pièce écrite pour Chéreau, au début des années 1980). Mais étrangement, cette rencontre discontinue existe surtout dans le fantasme, la projection, le désir.
Casarès, corps maternel de l’œuvre, est un appel, pas une réalité : un désir.
Vers la fin, quand il multipliait les projets en désespoir de cause, il formulera un dernier désir : Job, une pièce pour Casarès.
Mais c’est une autre histoire, qui n’aura jamais lieu.