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Koltès | Vies de Léone

jeudi 19 mai 2011


[extrait des Carnets de Combat de nègre et de chiens]

Léone, Une idée des vies successives

Ce que je crois, moi, c’est qu’à la première vie, on doit être un homme comme ce Cal, l’horrible type ; ces hommes-là comprennent si peu de choses, ils sont si bêtes, oh, si bouchés, il faut bien qu’ils en soient à leur toute première vie, les bandits !

Je crois que c’est seulement après beaucoup de vies d’homme, ridicules et bornées, brutales et braillardes comme sont les vies des hommes, que peut naître une femme.

Et seulement, oui seulement après beaucoup de vies de femme, beaucoup d’aventures inutiles, beaucoup de rêves irréalisées, beaucoup de petites morts, alors seulement alors peut naître un nègre, dans le sang duquel coulent plus de vies et plus de morts, plus de brutalités et d’échecs, plus de larmes que dans aucun autre sang.

Et moi, combien de fois devrai-je mourir encore, combien de souvenirs et d’expériences inutiles devront encore s’entasser en moi ?

Il y a bien une vie que je finirai par vivre pour de bon, non ?

Bernard-Marie Koltès