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Récits de la création des Nouveaux Mondes #1

Poème de l’engendrement des Zuñis

lundi 21 avril 2014

Images : Frank A. Rinehart

Des nouveaux mondes, on en porte tous, et tellement.
Sur les visages des Indiens aujourd’hui presque disparus, un regard insistant : l’énigme qui interroge nos rêves de ces mondes intérieurs.

Ainsi j’ouvre une partie du site aux récits, réels et rêvés, de ce nouveau monde ; l’adresser aux Indiens pour cette raison même — et pour la cruauté aussi d’être héritier de l’Ancien Monde, celui-là même qui chercha ailleurs à recommencer l’Histoire, et trouva, de l’autre côté de la mer, ce Monde neuf qu’il fut incapable d’accepter.

C’est que ce Monde était jeune, oui, et millénaire à la fois. Dans les légendes qu’il se racontait pour prendre mesure de sa terre, ce qui le reliait à ses fondations le reliait aussi aux arbres et à la terre, au ciel de son présent. Mais l’arrachement qu’en quelques années les Européens firent subir à ces Nations nous délie définitivement du temps où l’origine était éprouvée chaque jour comme un recommencement.
Cependant, l’alliance forgée dans les récits qui la racontent entre ce temps sans durée où le passé était ici et maintenant, et ce qui continuait de passer et de vivre nous traverse et nous concerne.

Y puiser là non par nostalgie — la douleur du passé, rance et mélancolique —, mais par désir de renouement, où le ciel et la terre appellent au dépôt du temps à venir.

Je retranscris dans ces pages l’émission de radio Sur les épaules de Darwin — Le Nouveau Monde (2), réalisée par Jean-Claude Ameisen, et diffusée sur France Inter le 22 mars 2014.

Ici le début : légendes et récits de la fondation du monde par la Nation Zuñi — bientôt la suite.



« 
Tant d’autres avant nous ont marché sur le sol où nous marchons aujourd’hui, et sur chacun des continents où nos lointains ancêtres sont nés ou ont posé le pied, le monde a commencé.

Il y a dans tous les peuples, un récit du début, un récit de la création, de la création ou de l’émergence de l’univers, de la création ou de l’émergence de la terre, du ciel, du soleil, des étoiles, des animaux et des plantes, et de l’être humain. Et ce récit partout pour chacun des peuples est le récit de leur naissance, de la naissance de leurs ancêtres ; dans chaque région du monde, un jour, le monde est apparu.

Avant le commencement de toute création, seul Awonawilona (« Celui-qui-crée-et-qui-contient-tout », le Père de la Paternité de toutes choses), possédait l’être. Il n’y avait absolument rien d’autres dans le grand espace des temps, sinon une noire obscurité, et partout le vide et la désolation.

Ainsi commence le récit de la création du monde du peuple Zuñi, un peuple d’agriculteurs profondément religieux. Au moment où les Espagnols poussent leur expédition jusqu’à leur village, en 1539, les Zuñis habitaient les régions qui font aujourd’hui partie du nouveau Mexique, et de l’Arizona.

Au commencement de la création absolue (poursuit le récit), Awonawilona, le Père de la Paternité de toutes choses suscita un engendrement en lui-même et projeta ses pensées dans l’espace de sorte que des nuées et des vapeurs de croissance connurent le développement et l’expansion. Ainsi, au moyen de son savoir inné, Celui-qui-contient-tout se créa lui-même en la personne et la forme du Soleil, que nous tenons pour être notre Père, et qui va ainsi à exister et à apparaître. Avec son apparition vint la lumière qui éclaircit les espaces et avec l’éclaircissement des espaces les grandes brumes s’unirent, s’épaissirent et tombèrent de sorte que l’eau se forma par le haut ; oui, et la mer qui soutient le monde.

De la surface de sa personne ayant tiré sa part de substance charnelle, le Soleil-Père forma la matière séminale des deux mondes ; il en féconda les eaux immenses, et voici que de la chaleur de sa lumière, ses eaux marines devinrent vertes, et que des écumes apparurent sur elles grandissant et s’alourdissant, jusqu’à ce qu’elles deviennent Awiteli-Tsita, la « Terre-Mère-quatre-fois-récipiendaires », et ApoyanTä’chu, le « Ciel-père-qui-recouvre-tout ». De l’union fécondante d’Awitelintsita et d’ApoyanTä’chu, étendus sur les eaux immenses, la vie terrestre fut conçue ; ainsi naquirent tous les êtres de la terre, les hommes et les créatures, dans la quadruple matrice du monde.

« Le mythe Zuñi (écrit Élise Marienstras dans un beau livre : La Résistance indienne aux États-Unis) dit ensuite comment la Terre-mère repoussa le ciel et sépara les deux mondes ; et comment, prévoyant le malheur, elle garda longtemps sa progéniture en son sein ; comment, enfin, elle s’associa avec le Ciel pour que « leur progéniture innombrable » s’oriente dans l’espace, trouve des abris et pourvoie à sa substistance »

Oui, dit Awitelintsita, la « Terre-Mère-quatre-fois-récipiendaires », oui, et de son sein, ils tireront leur nourriture, car c’est ainsi qu’ils trouveront la subsistance de vie dont nous-mêmes nous avons été nourris.

 »

jeune fille Zuñi (en 1903) —source wikicommons