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Une Nation | les Wendats
La perte du Nouveau Monde
lundi 18 juillet 2022
Cinq, comme le poing fermé sur un objet qu’on ne verra pas, talisman, pierre, peut-être rien, croyance que dans le poing une pierre pourrait se tenir venue de quel passé, on ne sait pas, cinq peuples — de l’Ours et de la Corde et de la Roche et du Chevreuil et des Marais : noms qui ne désignent que des semblants de noms, des ombres de noms qui servent à dissimuler le secret de noms perdus, et qu’on prenne le nom de Marais pour désigner un peuple, on ne dira pas pour autant que ce peuple est semblable au Marais ou même qu’il en provient, seulement que le nom désigne le mystère d’un lien qu’il n’est possible d’approcher qu’en rêve et encore, cinq peuples : qui tous sont une seule Nation blottie là où le Fleuve se jette désespérément dans les Grands Lacs : c’est elle.
La Nation Wendat faite de Cinq parlant une même langue ou presque, mais n’obéissant qu’à leurs propres chefs et cultivant leurs terres selon des gestes insensés et précis qu’ils sont incapables d’expliquer ni d’en raconter les origines considère le monde entier comme recouvrant leur territoire : cette langue de terre avancée vers le lac, qu’ils savent, eux, être la mer originelle.
Wendat est l’autre nom des hommes, et sans doute est-ce cela que veut dire Wendat dans leur langue : Les Hommes qui sont Insulaires, habitants de l’île qu’est le Monde cerné par les eaux qui finiront par tout recouvrir comme au premier jour : Hommes et Femmes Insulaires désignés sous ce mot de Wendat ; quiconque n’est pas Wendat n’est Hommes ni Femmes, peut-être bêtes et en cela dignes de l’être, ou arbres, pierres, ou autres visages mais dénués d’esprit et de passé, et d’avenir — des pierres, des arbres donc qu’il est bon d’abattre pourvu qu’ils fournissent du feu et des forces.
Le Wendat vit dans ces longues maisons où dort toute une famille de vingt et plus autour de la Mère qui seule organise la lignée ; être une fille donne le privilège de bâtir une maison et une lignée ; être homme ne donne le droit que de tuer et d’être tué, et d’être pleuré — ou de donner des filles.
Les dieux Wendat sont innombrables : leurs noms claquent dans l’air comme des coups de tonnerre qui suit la foudre de la croyance, éclairent la nuit comme pour toujours avant de la laisser plus noire que du feu éteint.
Le nom Wendat fut massacré comme les Wendats : avec des fusils de plus grandes portées que les fusils français cependant, mais par la langue. On nomma ces hommes comme des bêtes d’un nom de bête, ou presque : par la hure du sanglier, on jeta sur eux comme une couverture remplie de diphtérie le nom de Hurons qui ne vient rien dire et ne nomme rien, ou comme une insulte. Fatalement, ce geste de nommer de nouveau ces hommes précéda de peu leur mort et la disparition de la Nation Wendat.
On compte désormais quatre mille cinquante-six hommes et femmes de la Nation Wendat à Wendake, Québec. Les autres reposent en désordre sur le monde qui n’est plus une île, mais un cimetière sur lequel les gestes funèbres rituels n’ont pas été accomplis.