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Nos sites en feu

L’incendie OVH

vendredi 12 mars 2021

C’est un miracle. Il n’y a pas eu de blessés. Vers minuit quarante sept, de la fumée émane d’un bâtiment à Strasbourg : quelques minutes après, le feu, pur et sans phrase, se dresse. Dedans, plus rien que des câbles et des machines partis en cendres. Et dedans ce machines, une part des nôtres : ce qu’on y met, de nos nuits et de plus obscur encore qu’elles.

Les datacenters ont brûlé, plusieurs en tous cas.

Cette page-ci est hébergé quelque part là-bas : il faut croire que c’était dans le hangar suivant, ou qu’un câble plus abandonné aura été abandonné même par le feu. Tous n’ont pas eu cette chance. J’apprends en même temps que son existence la disparition du site de la biscuiterie Vedère. Combien d’autres ? On parle de millions de sites affectés.

Je lis le noms de ces sites qui n’offrent d’eux désormais qu’une page blanche, et pour eux peut-être que tout a été perdu pour toujours : beaucoup d’institutions et des prestigieuses. Peu de scribes comme nous autres, et je salue le destin. La liste dit pourtant un peu de ce monde, dans sa fragmentation aléatoire, sorte d’inventaires aberrants d’objets du réel seulement liés entre eux par un hangar qui les hébergeait et n’est plus que de la poussière où se répandent en désordre ces cendres mêlés : Abandonware France, Anti Discriminations, AS Saint-Priest, ASM Rugby, Candysan, Centre Pompidou, Coinhouse, data.gouv.fr, Département des Hautes-Pyrénées, ENT Région Île-de-France, Final Fantasy Ring, Gamergen, Generation-NT, Le Nouveau Détective, Les Éditions CyPLoG, MAIF, Meteociel, mimichat.fr, Piwigo, Profilculture, PureGaming.es, So Press, tennistables.com, TruckersMP, UPR, US Créteil Handball, Ville de Colmar, Voisins Vigilants et Solidaires.

On aura donc été épargné. Pourquoi ? Parce que plus insignifiant ?

Il aura fallu les images de cette incendie pour réaliser pleinement que le virtuel aussi peut être livré au feu ; qu’il n’y a pas d’espace préservé par la flamme, pas même le cloud ; que nos data se retrouvent bien physiquement quelque part, et pas seulement anywhere out of this world. Que les mots qu’on livre aux câbles sont ensuite stockés et côtoient comme nos corps bientôt dans les cimetières ceux d’un parti politique néo-fasciste ou de l’ASM Rugby.

Regarder ces flammes, à distance, console aussi : savoir qu’une sauvegarde jamais n’abolira le hasard de la perte. Que tout est de chair, de sueur. Qu’au vent poursuivi sans cesse répond le vent qui souffle en retour sur les braises, une nuit sur Strasbourg comme à Walpurgis. Que si tout est poursuite du vent, il y aura bien un jour où on tendra les mains sur un brasier haut comme une ville pour se réchauffer les mains à nos propres données parties en fumée. Que ces données ne sont que prêtées. Qu’elles nous seront rendues dans la cendre froide comme dans la bouche le goût après l’aube quand on a veillé la nuit.