arnaud maïsetti | carnets

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adresse #7 | à ton ombre

vendredi 23 juillet 2010

Ton ombre devant moi s’est étalée toute, depuis ses commencements jusqu’à ses terminaisons les plus secrètes : rien ne m’est caché, tu me l’offriras sans que je la demande.

Quand tu ouvres la bouche, ton ombre ne laisse passer qu’un peu de lumière entre tes lèvres, et ça ne comble pas le silence, ça n’occupe pas la place qui nous sépare : ainsi je parlerai pour deux.

Si tu recules, ton ombre s’agrandit — mais pour peu que tu t’avances, elles se mêleront, et peut-être se mélangeront de sorte qu’impossible de les distinguer et tu pourrais bien repartir avec un peu de la mienne, alors : ne bouge pas, j’avancerai avec précaution.

(Lorsque Dieu s’est présenté à Moïse, il lui a naturellement demandé de se retourner : son visage si Dieu l’exposait aurait brûlé le corps du mortel, d’évidence et de beauté — alors quand sur le sol, il a seulement vu l’ombre portée s’avancer, Moïse a su que Dieu s’approchait de lui.)

Sous la lumière qu’on a créée pour ne pas la voir, le soir qui rend les villes plus sales, dans les rapports les plus crus entre le noir et le blanc, tu te répands comme en pleurs, et tes larmes prennent la forme d’un corps déplié, aux contours noirs découpés à la serpe : informe, méconnaissable, inconsistant : moi je te placerai à l’endroit précis de la lumière qui produira l’ombre la plus désirable, l’ombre la plus achevée.

(Lorsque Dieu a voulu parler à Moïse, il ne pouvait naturellement pas se faire entendre : sa voix si Dieu la prononçait aurait brûlé le corps du mortel, d’évidence et de beauté — alors quand il a perçu une rumeur dans le vent, Moïse a su que Dieu s’adressait à lui.)

Ton ombre est un corps fendu, un grand trou sous le ventre où prennent naissance le désir et la lumière, une espèce d’infraction commise contre le péché, arrachement contre l’esprit qui commence à prolonger le désir et la lumière, et se diffuser — sexe grandit hors même du corps, semence qui prend racine aux frondaisons les plus lisses de la terre, ton ombre se solidifie au contact du sol : je n’ai qu’à baisser la tête pour la ramasser.