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Hypothèse #2 | du manque

lundi 18 mars 2019

Les hypothèses sont ce qui nous manque le moins.

Henri Poincaré


je sais bien les salauds et leur logique, je sais les phrases définitives et comme tout est accompli par elles et contre nous, je sais qu’aucun continent ne manque, qu’aucune mer n’est cachée, qu’aucune île restée sans nom, ou qu’aucun corps n’est demeuré intact, que rien n’est premier et que personne n’est innocent, je sais bien la logique de la fatalité, je sais que tout est plein, les têtes et nos imaginaires — et qu’on est seul —, je sais bien tout ce que je sais et que le ciel est vide et la mer un cimetière, et puis que les salauds sont en nous, je sais aussi.

Qu’il faudrait pourtant faire des hypothèses, et que ça nous sauverait un peu de ce trop plein qui sature : qu’il faudrait des espaces vides dans les centres et dans le corps aussi, qu’il faudrait du manque pour désirer encore, qu’il faudrait ce qui manque au désir aussi, et que le combler ne comblerait rien, qu’il faudrait le lointain comme au large on croit voir les montagnes, qu’il faudrait le peuple qui manque, qu’il faudrait ça : et que ce ne soit pas une déchirure, seulement l’espace entre les lèvres, et le souffle juste avant.

Je sais bien que tout complote contre le manque, que les salauds disent la tare que c’est, que les salauds qui nous gouvernent remplissent chaque jour d’un jour de plus : je sais aussi que j’ai raison, la nuit, de fabriquer des images vides, et de les peindre avec mon sang qui bat au dedans de moi parce qu’il y a du vide aussi. Je sais aussi que la nuit, quand je regarde les yeux ouverts, je vois tout ce qui me sépare de mes mains, et ça me tient éveillé.