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Georges Bataille | « et même un arbre foudroyé »
mardi 29 août 2017
Je percevais la possession d’un ruissellement de l’existence en moi et devant moi, comme si elle avait lieu enfermée par deux branches se croisant (comme les tentacules de mon avarice). A la fin, comme si les branches se croisaient davantage, les flux que je dirigeais s’échappèrent au- delà d’elle, dans le prolongement de la croix de Saint-André qui se formait. A ce moment ces flux se perdirent dans un courant vif et libre, ce courant fuyait devant moi tout à coup dégagé d’une étreinte avare et je restai soulevé, en suspens, essoufflé. Cette échappée était vide de contenu intellectuel et j’imagine seulement aujourd’hui qu’elle répondait à la position du « point », mais le glissement de moi-même au « point », la confusion précipitée y étaient plus vifs ; et plus que devant le « point », je demeurai maintenu en haleine par ce qu’il avait d’insaisissable. J’ouvre ici cette parenthèse pour compléter si je puis ce que j’ai dit précédemment : d’autant que ce glissement n’était pas saisissable, il était captivant ; il l’était au dernier degré de la tension. Si bien que j’y vois maintenant ce qu’il y a toujours dans le « point », du moins ce qui commence toujours en lui : une fuite dérobée, éperdue, vers la nuit, mais à ce moment qui ne dura guère, le mouvement de fuite était si rapide que la possession du « point », qui le limite d’habitude, était dès l’abord dépassée, en sorte que, sans transition, j’étais allé d’une étreinte jalouse à l’entière dépossession. Et ce mot de dépossession est si vrai qu’en peu de temps je me trouvai vidé, essayant de ressaisir en vain l’insaisissable qui venait décidément d’échapper, je me sentis alors idiot. Je me trouvai dans un état comparable à celui d’un homme pris de rage contre une femme aimée de lui et qui, soudain, voit un hasard le priver de toute issue : soit l’arrivée d’un visiteur. Le visiteur, c’était directement l’hébétude, tout aussi difficile à congédier mais d’autant moins recevable à ce moment qu’était en jeu le désir de l’insaisissable. J’aurais pu en rester là, me décourager, mais cette solution même fit défaut : comme celui que la rage a pris, j’étais excité et ne pouvais me détendre. Me disant à juste raison qu’il était vain de chercher ce qui venait de m’échapper, j’abandonnai le champ à l’intense coulée de mouvements intérieurs que j’avais si légèrement suscitée. Et fatigué, comme on s’endort, je me résignai à subir la loi que je croyais celle de ces mouvements : je pensai qu’une possession voluptueuse était seule la mesure de leurs ressources. Ces ruissellements sont en nous d’une plasticité désarmante. Imaginer suffit, et la forme rêvée prend vaguement corps. C’est ainsi qu’il y a de cela des années, quand ces ruissellements demeuraient en moi diffus, sans objet, je m’étais, dans l’obscurité de ma chambre, senti devenir un arbre et même un arbre foudroyé