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La Ville écrite | auteurs et anonymes

jeudi 13 octobre 2011


Où classer des textes qui sont hors de tout classement – quand le critère pour classer, le nom, est précisément celui qui fait défaut ? Devant ces rangées, auteurs et anonymes, je suis resté mélancolique, un peu, et puis, comment ne pas les voir comme une image parfaite d’un vieil idéal qui ne s’ajustera jamais au monde ? Dans quelques lettres de Michaux, ce rêve de se soustraire totalement au geste, cette volonté presque désespérée de se retirer de son propre nom qui signe ses textes. Oui. Non pas l’idéal du pseudonyme, qui est une manière de fabriquer du nom propre, mais celui plus radical, plus puissant, du nom retiré. Je pense aussi à Blanchot, vie vouée à la littérature et au silence qui lui est propre. Mais dans ce silence, on va parler pour lui. C’est une défaite qui n’a jamais dit son dernier mot. D’ailleurs mes livres de Blanchot sont dans ma bibliothèque à son nom. J’ai même un endroit où ranger mes anonymes (cela tombe bien, le mot anonyme commence par la première lettre de l’alphabet). Mon cycle du Graal, des textes sacrés, des poèmes anciens : la lecture dépossédée du nom ne libère pas de l’idée de la main qui les a tracés, seulement, cette main demeure dans l’effacement produit par l’écriture, voilà tout. Un vieux rêve que celui de se libérer de son nom — une vie par contumace dans le texte. Mais quand je vois ces espaces immenses prévus pour ordonner ce qui n’appartient à aucun espace, je m’arrête, mélancolique donc, et défait. Rêvant un peu à un classement qui organiserait par un ordre moins arbitrairement fatal, plus aléatoire, ouvert à l’éparpillement.