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La Ville écrite | palimpsestes impeccables
Paroles de murs
samedi 12 mars 2022
— Mais qu’entendez-vous par là ?
— Hé bien ! par exemple, tout ce que vous lisez, je suppose, dans le récit d’un narrateur militaire, les plus petits faits, les plus petits événements, ne sont que les signes d’une idée qu’il faut dégager et qui souvent en recouvre d’autres, comme dans un palimpseste. De sorte que vous avez un ensemble aussi intellectuel que n’importe quelle science ou n’importe quel art et qui est satisfaisant pour l’esprit.
— Exemples, si je n’abuse pas.
Donnez la parole aux murs, ils lâcheront sur vous tous les mots ensemble et sans mots, les mots que vous ne saurez pas entendre parce la parole qu’on donne n’est pas celle qu’on tient : elle est celle qui se lâche elle-même dans le grand dehors insignifiant des choses où elle va se confondre et se répandre, cernant le sens perdu de tout ce qui est comme de tout ce qui, surtout, n’est pas encore mais va advenir, lettres effacées après lettres effacées, recouvrant la totalité du langage jusqu’à faire du langage lui-même le palimpseste impeccable qu’il devait être à l’origine quand le premier d’entre nous a pointé le doigt vers le ciel pour désigner les dieux et qu’il grognait, et que les autres ont ri, avant d’être dévorés tous autant qu’ils sont par le tigre à dents de sabres qui rôdaient sous les regards des peintures de tigres à dents de sabres bientôt recouvertes par d’autres dessins, puis des mots, puis tant de mots à la fin qu’on ne verra plus le tigre, les cadavres des hommes dévorés en lui, le mot de tigre et tous les autres mots et jusqu’à la fin des jours quand il ne restera plus que des murs, et que les murs voudront crier et qu’ils ne diront que cela.