Nom de Pays | Loin

Ce n’est même pas un pays, mais une simple rue — pas simple, pourtant d’être loin. Parce qu’on est malgré tout quelque part : par exemple, dans la rue loin. On est aussi toujours trop près de quelque chose : par exemple, de la route qui fabrique en ce bas monde la rue loin. Il faudrait inventer des lointains plus radicalement lointain.

Ce n’était pas une rue : plutôt une promesse, un serment.

Mais dans ce loin, la rue rejoint : c’est fatal. Il faudrait, oui, un loin sans horizon, sans retour, et sans mémoire. Un loin abandonné à son abandon.

Dans le loin, sans rémission ni salut aucun, on serait seulement allongé, et on regarderait la terre aller silencieusement dans la nuit. J’apprendrais le dessin. Je serais là.

Au loin, oui, je serais quelque part. C’est peut-être le plus douloureux, le plus cruel. Et le plus juste. Sans consolation : le plus doux. Dans les loins de cette vie, on n’aura jamais trouvé la possibilité d’être dans les lointains autrement que dans les déchirures.

Au moins le loin permettait à la déchirure de s’éprouver vivant.

Quand tu fermes les yeux, c’est alors que tu es le plus loin. Tu te retrouves dans la rue loin, celle à laquelle rêve ton rêve. Toi, tu es loin de la rue loin, quand tu ouvres les yeux, tu le vois.

Loin : autour battait la vie, frappait la vie.

J’étais ici. Mais où ?

Le loin se refusait : il y avait ce qui prenait l’eau de toute part dans ce réel et dans les appartements, il y avait des papiers, il y avait des dossiers, il y avait des appels en absence. Je sais bien que loin n’attendra pas longtemps, mais toute cette attente, je la vivais comme l’éternité.

Sur la carte du loin qui serait un jour ici, je regardais longuement et le soir, je m’endormais peut-être sans voir tout ce qui autour menaçait le loin d’être près de ce qui recommençait le monde découvert de toute part, nulle part à l’abri.

La rue loin, je la suivais des yeux, des mains, comme une caresse posée sur un corps qui s’inventait peu à peu.