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[ phrases ] #1 — rêves de fuite

lundi 26 septembre 2011


Phrases qui viennent, avec ces images et ces impressions tenaces, dans l’état de veille qui suit le réveil, cet état qui n’appartient pas au matin — je noterai ces phrases, avec leurs images, dans leur rythme propre qui n’est pas celui de mon écriture ou ma respiration, comme pour en finir avec elle et continuer le jour, comme si j’en guérissais mal. Jamais pensé les consigner ici jusqu’à une lecture récente, qui dévisage. S’en tenir à une phrase, puisque c’est ainsi que le rêve passe, dans une syntaxe à mes yeux incompréhensible, et que je recueille, retranscris, à laquelle j’assiste.


Lorsqu’il ouvrit les yeux sur le jour suivant, il ne reconnut du désordre emmêlé qui l’avait couché, le ventre contre le sol de sa chambre, ou de la noirceur étale de la nuit passée, qu’une blancheur cassée d’aube déjà largement entamée et un goût mort dans la bouche, d’alcool épais, de colère sans objet, de tristesse plus grande que la pièce, d’inconsolable instinct de vie qui le faisait sanglotter comme un fils apeuré éveillé soudain dans sa chambre d’hôpital, rêvant encore le rêve terrifiant, aberrant, comme d’étouffement lent dans la gorge, et toujours cette douleur dans le crâne qui disait la nuit n’est pas encore achevée, elle grandit en moi qui l’accepte.


C’est une maison ouverte, pâle comme un visage, haute et froide rien qu’à la voir, et ainsi que l’on pose la paume de la main sur elle, l’entendre vibrer au rythme sourd d’un coeur de chat dépeçant calmement son oiseau, cette maison dans laquelle entrer pour fuir dehors celui qui nous chasse, nous talonne en criant notre nom, tantôt comme pour le réclamer, tantôt pour le moquer, et empruntant la voix du désir des femmes quand on passe devant elle sans argent le samedi après minuit, le regard posé sur le sol, mais le corps libre d’être touché, et la voix parfois dit notre nom pour le simple bonheur de le déchirer, et le disant le disant le disant encore jusqu’à faire rebondir les syllabes les unes contre les autres contre les murs de cette ville, et les disant encore un nombre de fois suffisant pour le tordre et dire en lui tout ce que mon nom ne dit pas, comme ma honte, ou mon visage secret quand il réfléchit au rêve qui le presse et le conduit jusque dans cette maison, plus profonde et plus chaude et plus inconnue que le corps de ses femmes qui pressent en leur main tout cet argent que je ne leur ai pas donné en échange des nuits que moi je passerai dans cette maison, où j’avance en hurlant maintenant moi aussi mon nom comme pour conjurer l’echo de cette voix qui continue à le crier dehors comme on frappe à une porte, et moi cherchant de toutes les terminaisons nerveuses de mon corps l’interrupteur qui évanouira dans l’instant les contours noirs et terrifiants de ma propre peur partout répandue ici, extravagante, invisible comme peut l’être un mur quand on l’approche les yeux fermés, les mains tendues dans le désir de le toucher pour s’y tordre les poignets, pourvu qu’il n’y ait personne, je répète cela comme un talisman et l’ombre autour de moi se dresse et va se jeter sur moi sous les coups répétés de mon propre nom dehors.


Je sens l’orage venir je ne me presse pas au contraire je ralentis et la lenteur de mon pas soudain ralentit également et l’orage et son imminence qui se retire en moi à chaque pas déposé sur le sol comme on pousse d’une main lasse le corps nu qui vient se glisser jusqu’à soi pour s’échanger dans le noir la place qu’il occupe dans l’ordre du désir, derrière moi la ville coule plus sûrement que l’ombre agrandie des façades de pierre que je laisse main droite pour chercher un endroit près du fleuve où voir l’eau remonter son propre courant et se jeter dans sa source, dans le bruit de l’orage maintenant si loin qu’il semble être passé, d’ailleurs, on voit de grandes flaques sur le sol, où des chiens viennent boire plus lentement, contre lesquels je me blottis en attendant qu’ils me dévorent.