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[ phrases ] #2 — rêves de boue
mardi 4 octobre 2011
Il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse.
Seul, dans l’agitation historique et le bruissement des langues que prennent parfois les murmures échangées par les foules quand elles attendent du pain, une tête, une femme, une corde, ou que la corde lâche, mais que faire du corps nu, un pendu sacrifié pour rien, j’avance, seul j’avance à travers des visages qui sont tous différents et dont je ne vois d’abord que la différence spectaculaire qu’ils m’opposent comme une preuve suffisante de leur existence, mais personne ne me voit, je fraie entre eux comme un torrent qui vient se perdre dans les herbes sauvages et qui jamais, il le sait, ne saura rejoindre un fleuve plus large, sauf à passer sous la terre et laisser faire les voies souterraines, je n’ai pas la force de regarder derrière moi ce que la foule observe avec la lubricité des innocents qui se savent coupables, un échafaud peut-être, un bûcher, il fait si chaud, et la soif partout, la place s’étend à mesure que je m’échappe, de sorte que je ne m’échapperai jamais, un silence alors et les visages soudain tournés vers moi.
Et la soif malsaine / Obscurcit mes veines.
De la terre, c’est-à-dire de la boue, se lève lentement une silhouette vague, sans vraiment de contours, mais comme je lui attribue l’usage d’un corps, elle continue de se dresser lentement vers moi, avec toute sa tendresse de boue, elle s’approche davantage comme je la regarde, dense et désirable, offre comme un visage sans trait dans lequel je plonge ma main, la retire apres un moment d’absolue terreur, toute ruisselante d’eau salée que je répands ensuite du geste qu’on a près des sources dans la chaleur pour s’aperger d’un mouvement le visage d’eau fraiche, et à mesure que cette eau redescend vers mes lèvres, lourdes comme du sang, je vois le visage se former, encore plus lentement, le plus lentement du monde, aussi lentement que l’eau épaisse et salée descend sur mon visage, je crois le reconnaitre, je vais le reconnaitre et quand une goutte touche mes lèvres, la boue retombe dans la terre et c’est sous le ciel noir un grand champ après les labours dans lequel je plonge et disparais entièrement.
Chansonnier, ta filleule / C’est ma soif si folle
Je reviens dans cette maison ancienne, habitée là par d’autres qui la considèrent comme leur appartenant, ils ne savent pas, les pauvres, et j’ai pitié de leur ignorance, que j’ai vécu ici avant eux pour toujours, qu’en cela je les devance dans l’ordre des choses et des ans, comment leur en vouloir, ce n’est pas une maison, c’est l’internat, le couloir qui distribue des chambres à droite avec vue sur le dehors, et à gauche avec vue sur la cour intérieure — les deux premières années, j’avais choisis les chambres de droite, mais la troisième, une chambre à gauche, je me demande quand je reviens dans ces lieux pour quelle signification secrète et indéniable, fatale —, c’est le soir et les chambres sont toutes occupées, je viens dans la salle des courriers récupérer des lettres qui m’attendent depuis dix ans, je ne m’en étonne pas, les dépose dans la chambre ancienne, avec mes livres, et les dispositions des quelques meubles que je possédais, puis je ressors, décide de marcher dans les couloirs, m’étonne que tout ait pu être refait à neuf mais comme sur un modèle ancien, avec lambris de bois, cheminée de marbre, parquet qui craque, ancien donc et luxueux, je ne me souvenais pas que de tels couloirs s’enfonçaient les unes dans les autres et enfin, je débouche sur le grand escalier, celui qui descend vers les salles de cours, c’est le soir, l’agitation feutrée des couchers, les étudiants sérieux qui sont encore penchés sur les livres, on les entend aussi, dans leur silence de travail, et les jeunes couples qui se déchirent, dans les endroits vides et laissés pour eux, et pour cela, je descends une à une les marches, je sens dans ma poche la clé de ma chambre, je voudrais la voir une dernière, puis, sans raison, je la lance à travers une fenêtre qui en se brisant fait tout disparaître.