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Quand la nuit vient | Courir #55
samedi 10 août 2019
Pour épuiser la fatigue, quand il faisait très chaud surtout, il courait. Il cherchait à atteindre un point précis, un instant où tout se descellait : c’est ce point au-delà duquel on ne pense plus et à partir de quoi tout s’écroule qu’il poursuivait avec acharnement.
Le long des quais, les voies s’ouvraient à des hommes comme lui ; la plupart couraient pour eux-mêmes, ou pour leur corps. Sur les mauvais pavés taillés comme des pierres coupantes, lui allait surtout à la recherche de ce point précis : là où ses pensées s’effondraient.
Il fallait aller loin, dépasser plusieurs ponts, parfois s’engouffrer sous le long tunnel dans lequel résonnaient les pas seulement et les souffles, laisser venir les pensées, elles affluaient seules sans qu’on les cherche, les laisser s’emplir d’elle-même, les accepter et accepter qu’elle s’empare de chaque instant, qu’elles rebondissent en soi et fabriquent d’elles-mêmes d’autres pensées, jusqu’au point où le corps n’est plus capable de recevoir la fatigue qu’il a produite : les pensées soudain cessaient.
Le corps continuait.
Le corps avançait sur le tas de cendres des pensées, il frayait désormais dans le creux ménagé par ce trou, et dans le vide maintenant arraché, il allait, simplement de son propre pas tombé sur lui-même, d’un pas qui donnait à l’effondrement l’élégance de la précipitation retardée, il allait ainsi, les yeux presque fermés, ruisselant, délivré.
Ce point toujours se déplaçait – il courait sur les mêmes routes, suivait les mêmes trajectoires, obéissait au même rythme.
Mais le vent et la chaleur, et le poids des pensées, et la force dans le corps qui lui restait, ou lui manquait, tout était si mouvant. Le point qu’il trouvait parfois rapidement, au pied d’une statue, ou avant le pont, parfois il le cherchait vainement.