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Quand la nuit vient | La dévoration #56

dimanche 11 août 2019

C’est une vieille histoire. L’enfant n’était jamais allé si loin dans la forêt, il est maintenant perdu. Le jour va tomber. Il pourrait s’assoir au pied de cet arbre et pleurer. Mais quand il baisse les yeux, il voit le renard aussi perdu que lui, plus terrifié encore. L’enfant s’approche. Le renard ne fuit pas. L’enfant s’approche et s’en empare.

Il n’avait aucune raison ; simplement il le pouvait, simplement il l’a fait. Maintenant qu’il a entre ses mains ce renard, il a plus de force, il a plus de courage. Il a regardé le soleil, ce qu’il en restait dans les feuillages des arbres. Il a jugé de la direction, et il marche maintenant, d’un pas d’enfant qui sert dans ses mains un renard vivant.

Il n’était pas si loin ; quand il sort de la forêt, le soir est presque là, il presse le pas, le renard dans ses mains, et le sourire aux lèvres. Il se souvient maintenant que c’est interdit : la forêt autant que le renard. Alors il enfouit le renard sous son manteau.

Il rentre vite sous les portes de Sparte, pas assez vite pourtant. Dans son dos, il entend la voix d’un homme, qui l’appelle ; quand il se retourne, ils sont trois, à lui faire signe d’approcher. Il approche. On lui dit d’approcher plus près encore. On lui demande d’où il vient, s’il vient de la forêt, qui est interdite. On lui demande s’il n’a pas volé un animal à la forêt, ce qui est interdit davantage.

Lui, il ne dit rien. Il baisse la tête. Il ne veut pas qu’on sache. La forêt lui appartient, et son secret. Il lève la tête maintenant, il va mentir.

Il va dire qu’il est allé le long des remparts, jeter des cailloux dans le fleuve, viser les poissons, cracher.

Il va parler des oiseaux et des cailloux qu’il aura jetés aussi.

Il ne va rien dire d’autre, d’une voix qui ne tremblera pas et qui ne trahira rien, pendant que sous son manteau, lentement, très lentement, le renard lui aura dévoré le ventre.

Quand il pensait à cette histoire – et il pensait souvent –, il songeait au secret qu’il portait, lui ; il songeait au ventre déchiré du garçon, et à la morsure, à ce qui creusait en lui la douleur vive de posséder pour soi seulement la joie de garder le silence, la folie de ne pas être des leurs.