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À un ami | « Le temps passe. C’est sa nature. »

mardi 11 novembre 2014

Par le Parti Imaginaire.


Le temps passe. C’est sa nature. Tant qu’il y aura du temps, il y aura l’ennui, et le temps passera. Le passé, lui, ne passe pas. Tout ce qui s’est réellement passé porte en soi une étincelle d’éternité, s’est inscrit en quelque recoin de l’expérience commune. On peut en effacer les traces, pas l’événement. On peut bien en pulvériser le souvenir, chaque débris contient la monade totale de ce que l’on croit détruit, et l’engendrera à nouveau, l’occasion venue.

Répétons-le : l’historicisme est un bordel où l’on prend soin que les clients ne se croisent jamais. Le passé n’est pas une succession de dates, de faits, de modes de vie, ce n’est pas une penderie de costumes, c’est un réservoir de forces, de gestes, une prolifération de possibilités existentielles. Sa connaissance n’est pas nécessaire, elle est seule- ment vitale. Vitale, pour le présent. C’est à partir du présent que l’on comprend le passé, et non l’inverse. Chaque époque rêve les précédentes. La perte de tout sens historique, comme en général de tout sens, dans notre époque, est le corollaire logique de la perte de toute expérience. L’organisation systématique de l’oubli ne se distingue nulle part de l’organisation systématique de la perte de l’expérience. Le révisionnisme historique le plus dément, qui parvient désormais à s’appliquer aux événements contemporains eux-mêmes, trouve son terreau dans la vie suspendue des métropoles, où l’on ne fait jamais l’expérience de rien, sinon des signes, signaux, codes, et de leurs conflits ouatés.

Où l’on fait des expériences, des expériences privées, qui flottent, mutiques, ininscriptibles, nulles ; intensités implosives qui ne peuvent se communiquer au-delà des murs d’un appartement, et que tout récit vide plus qu’il ne l’offre en partage. C’est sous la forme de sa privatisation que s’exprime le plus communément, désormais, la privation d’expérience.