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À un ami | « Les ratiocinations du ressentiment ont l’art d’inverser les relations logiques. »
dimanche 9 novembre 2014
Les ratiocinations du ressentiment ont l’art d’inverser les relations logiques. Depuis plus d’un siècle, et nommément depuis les Protocoles des sages de Sion, chaque événement trouve parmi les esclaves son explication dans la conspiration des puissants. La petite- bourgeoisie planétaire raffole de cette littérature, car elle conforte son ignorance, et son impuissance. La progression du complotisme a partout suivi la progression de cette « classe ».
En fait, la révélation que les puissants conspirent contre nous sert seulement à masquer l’évidence contraire : celle de la puissance qui s’éprouve dans l’amitié, et par voie de conséquence dans la conspiration. Dans sa préface à l’Histoire des Treize, Balzac exprime comme aucun autre l’ambivalence de cette puissance, qui peut se retourner en sécession aristocratique tout comme elle peut accoucher d’une force révolutionnaire.
« Il s’est rencontré, sous l’Empire et dans Paris, treize hommes également frappés du même sentiment, tous doués d’une assez grande énergie pour être fidèles à la même pensée, assez probes entre eux pour ne point se trahir, alors même que leurs intérêts se trouvaient opposés, assez profondément politiques pour dissimuler les liens sacrés qui les unissaient, assez forts pour se mettre au-dessus des lois, assez hardis pour tout entre- prendre, et assez heureux pour avoir presque toujours réussi dans leurs desseins ; ayant couru les plus grands dangers, mais taisant leurs défaites ; inaccessibles à la peur, et n’ayant tremblé ni devant le prince, ni devant le bourreau, ni devant l’innocence ; s’étant acceptés tous, tels qu’ils étaient, sans tenir compte des préjugés sociaux [...] Ce monde à part dans le monde, hostile au monde, n’admettant aucune des idées du monde, n’en reconnaissant aucune loi [...] cette union intime de gens supérieurs, froids et railleurs, souriant et maudissant au milieu d’une société fausse et mesquine [...] Il y eut donc dans Paris treize frères qui s’appartenaient et se méconnaissaient dans le monde [...] Aucun chef ne les commanda, personne ne put s’arroger le pouvoir ; seulement la passion la plus vive, la circonstance la plus exigeante passait la première. Ce furent treize rois inconnus, mais réellement rois, et plus que rois, des juges et des bourreaux qui, s’étant fait des ailes pour parcourir la société du haut en bas, dédaignèrent d’y être quelque chose, parce qu’ils y pouvaient tout. »