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Car la ville nous appartient

mercredi 13 avril 2016


Texte écrit pour l’édito du printemps du site L’Insensé, scènes contemporaines


À Paris, ils sont des centaines sur une place publique qui voudraient se donner tâche de reprendre possession de leur vie : ils refusent que passe le temps prévu, alors ils inventent une manière nouvelle de compter les jours ; au 31 mars succède le 32, le 33, le 34… pour que jamais le 1er avril prévu de longue date ne vienne en travers de cette nuit intempestive qui s’ouvre. Ils font de la Place autant une Agora qu’une barricade qui interrompt et intercepte, arrête et fixe le rapport de force, concentre et délivre des énergies latentes.

Réponse des pouvoirs : « La place de la République ne doit pas être privatisée. »

Ainsi, quand un mouvement propose de reprendre possession de ses lieux de vie pour inventer de nouvelles manières de peupler ce monde, de nouveaux gestes pour rendre la ville possible et le temps, quand une partie de la jeunesse rend pour une fois public un espace réservé à la circulation, le pouvoir aveugle répond comme il sait le faire. Aveuglement.

La leçon est là, plus que tout : la ville comme nos existences voudraient être réduites à des lieux de passage qu’il ne faut surtout pas encombrer, et qu’il faudrait fluidifier (image parfaite de ces injonctions insupportables à la flexibilité) - mais pour aller  ? L’urgence est décidément à la saisie de ces espaces et dans la redéfinition radicale des pourquoi : qu’on en fasse une fête ou une assemblée, un dortoir ou un théâtre, une rue où la parole s’échangerait comme une contradiction en acte, peu importe tant que soit de nouveau nôtre l’espace public, de nos désirs comme de nos hostilités. Car la ville nous appartient.

Contre la loi et le travail : graf’ vite déposé à Marseille rue de la République (devenue un fantôme de rue, avec ces panneaux de bois pour commerces à la vente qui ne trouvent pas preneur : allégorie d’un régime, fable d’un monde qui se vend mais ne s’achète plus). Contre la loi, et contre le travail : car récuser cette loi travail, c’est récuser l’organisation du monde telle qu’il est légiféré partout, au-delà de cette loi. Parce qu’il y a d’autres lois, celles qu’à soi-même on s’impose pour reprendre possession de la vie, et un autre travail, la tâche qu’on s’assigne pour habiter plus densément le monde, il y aura d’autres jours et d’autres nuits : des nuits autres, pour des jours traversés autrement. Ce n’est plus un espoir ou un vœu pieux. C’est désormais une responsabilité.

Et contre la croyance érigée en programme, il y aura le rassemblement immanent, injustifiable et provisoire, celui des différences irréconciliables qui nous lient pourtant, et nous délient, qui nous confient à la parole aussi, celle qui lève en nous autre chose que de la résignation et autre chose que de l’espoir : celle des soulèvements.