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« Ils volent le présent » | J-L. Nancy
mardi 26 février 2013
Maintenant, on s’aperçoit que la machine démocratique, tout en fonctionnant à peu près, n’est pas par elle-même porteuse de l’émancipation. Tout passe par la politique, mais rien ne peut s’y accomplir. La politique est toujours « pour demain » (maintenir des équilibres, ouvrir des possibilités de négociation), mais c’est en dehors de la politique que les choses s’accomplissent, dans l’art, dans la pensée, dans l’amitié, l’amour, dans tout ce par quoi l’homme sent et ressent. (…) Les crises actuelles ont quelque chose à voir avec cinq siècles de ratage ou de maldonne, de confusion ou d’aveuglement, voire de tricherie dans l’« émancipation de l’humanité » (malgré toutes les réussites et créations de ces mêmes siècles). Il est aussi urgent de penser sérieusement à l’enjeu de notre civilisation « humaniste » que d’empêcher enfin sérieusement les plus riches de multiplier leur richesse par le nombre de pauvres qu’ils créent. Car ils ne volent pas seulement l’argent : ils volent le présent, ils volent l’existence réelle.
Lu ce matin au hasard de réseaux sociaux ce propos de Jean-Luc Nancy, ancien déjà, quoique, et qui ces derniers jour prend tant d’importance, pas seulement à cause de ce qui se passe en Italie, pas seulement à cause de ce qui se passe dans la vie (quoique).
Oui, que le présent EST ce qui reste au temps pour survivre à cette vie — celle qui s’organise loin de nous dans les formes obscures que prend la politique pour venir jusqu’au plus près de nous : oui : car le présent est le dernier refuge. Qu’il est une valeur, qu’il est la valeur. Qu’à cette valeur nous lui accordons le bénéfice de tout, que cette valeur donne le prix à tout : que l’art, et l’amour et la vie et toutes choses lui sont confiés. Que l’art, l’amour et la vie surtout, qui sont au présent ce que le présent est à ce monde-là : comme le dernier territoire où serait possible le fait d’aimer, de fabriquer de la beauté, et de donner naissance.
Cette phrase enfin de Bataille, pour toujours :
« Le renoncement au rêve et à la volonté pratique de l’homme d’action ne représentent donc pas le seul moyen de toucher le monde réel. Le monde des amants n’est pas moins vrai que celui de la politique. Il absorbe même la totalité de l’existence, ce que la politique ne peut pas faire. »