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Zoukak | Lettres du front, au Liban
« Gaza is a miror »
mardi 17 décembre 2024
En haut de ce site, les images d’une ville, l’une des plus anciennes du monde : Byblos. Elles sont les ciels de mes pages depuis plusieurs années maintenant, et ce passage au Liban, l’automne 2018. J’ai pris cette image depuis les ruines de la vielle ville, vers les faubourgs de Jbeïl. Je reprends ce soir quelques une de ces images prises ce jour-là, pour cette page.
Dans ces maisons, on entend aujourd’hui chaque matin le tonnerre des obus, et jusqu’au soir le bourdonnement des drones de surveillance de Tsahal. Ce qu’il en restera, qui peut le dire ? Mes pensées sont vers Beyrouth et le Liban, ses villes dignes, ses corps blessés par l’histoire.
Je dépose ici un texte écrit par le collectif Zoukak dont j’avais pu voir cet automne-là le terrible et nécessaire spectacle conçu avec des réfugiés syriens : Untitled. Ces dernières semaine, Zoukak poste des lettres du front — comment traduire autrement l’expression « letters from the Ground » ? Il s’agit ici de la troisième, et dernière à ce jour. À sa suite, ma traduction.
From : Zoukak Collective
To : The people of the moon
The world is a prison,
its door, the moon.
We speak,
You speak,
Though silence may besiege us.
We raise our voices,
Not as victims, but as a force.
We speak,
Our survival lies within our words,
For we cannot afford silence,
And you cannot afford silence.
Here, the world —
A beautiful prison,
its door, the moon.
Our existence is not a privilege or a favor.
Our existence is born of painful solidarity,
A forceful act,
A force of resistance.
We stand together,
We confront together,
What seeks to erase us —
Our bodies, our minds,
Our thoughts, our souls.
Here, the world —
A beautiful prison,
its door, the moon.
Under brutality and war machinaries,
Under surveillance and suppression,
Wherever we are,
We have arrived here.
And from here,
We will not leave this here.
Together.
We confront,
Not for the comfort of green spaces,
Not for some distant peace,
Not for lands we wish to conquer.
We resist,
For this land,
Our land,
Our planet.
Here, the world —
A beautiful prison,
its door, the moon.
Gaza is a mirror.
We look into it from the ends of the earth,
It looks back into us.
A victim within us sees itself in it,
An executioner within us sees himself in it.
We look
We witness
A story
Repeating itself,
Day after day.
An executioner
A victim
A victim
An executioner
Yesterday,
We watched a film —
The wandering dead, slaughtered in oblivion.
Perhaps it was Gaza :
Children burning, families disappearing,
A propaganda mirror.
In it, the boundaries blur
Between reality and illusion.
Lines dissolve,
Horizons vanish,
Horizons emerge.
Here, the world —
A beautiful prison,
its door, the moon.
Together, we confront
Lies and fabrications,
Promises upon promises
Fade,
Vanish.
Democracy, a pride —
Preachings and omens,
Fair of face,
Branding with tattoos :
Herds for life,
Herds for death.
Refusing to submit comes at a price —
It always has.
Here, the world —
A beautiful prison,
its door, the moon.
Tyrants weigh our lives,
In the balance of their interests,
In the balance of their comfort.
We, and you,
See a truth :
We are surplus, unnecessary —
That’s how we are seen.
Here, the world —
A beautiful prison,
its door, the moon.
Explosions ignite our dawn,
Corpses eclipse our day.
And still, we remain —
More than mere victims.
We celebrate life :
With art, with theater, with festivals, with words.
We confront death :
With art, with theater, with festivals, with words.
Here, the world —
A beautiful prison,
With the moon as its door.
We stare at its dark side.
We see, we worry.
We forget, we find peace.
We speak.
From the darkness,
Words emerge as poetry.
We speak.
From poetry,
Words emerge as prose for action.
When tyranny tears down our door, let us remember our right to resist. When we enjoy a moment’s safety, let us not forget our power to stand firm and take initiative against the tyranny lurking just beyond the door.
When we occupy a space for gathering, let us bring it to life — as a stage, a platform, a space for action. Let it be a place where our thoughts, fears, burdens, and contradictions emerge in every possible way ; a spark to ignite reflection in our homelands, with our communities, within our spaces, and wherever our influence may reach.
Live. Stay. Act.
For living, staying, and acting are realms —
Cultural, political, and social spaces ;
A land of life,
A land
of dreams and poetry.
Let us not turn the moon’s splendor
Into a prison.
For here and now,
The world is a prison,
the moon, its beautiful door.
De : Collectif Zoukak
À destination des gens de la lune
Le monde est une prison,
sa porte, la lune.
Nous parlons,
Vous parlez,
Bien que le silence nous assiège
Nous élevons nos voix,
Non comme victimes, mais comme une force.
Nous parlons,
Notre survie réside dans nos mots,
Car nous ne pouvons nous permettre le silence,
Et vous ne pouvez vous permettre le silence.
Ici, le monde —
Une belle prison,
sa porte, la lune.
Notre existence n’est ni un privilège ni une faveur.
Notre existence naît d’une solidarité douloureuse,
Un acte de force,
Une force de résistance.
Nous nous tenons ensemble,
Nous affrontons ensemble,
Cela qui cherche à nous effacer —
Nos corps, nos esprits,
Nos pensées, nos âmes.
Ici, le monde —
Une belle prison,
sa porte, la lune.
Sous la brutalité et les machines de guerre,
Sous la surveillance et la répression,
Où que nous soyons,
Nous sommes arrivés ici.
Et d’ici,
Nous ne partirons pas d’ici.
Ensemble.
Nous affrontons,
Non pour le confort des espaces verts,
Non pour une paix lointaine,
Non pour des terres que nous souhaitons conquérir.
Nous résistons,
Pour cette terre,
Notre terre,
Notre planète.
Ici, le monde —
Une belle prison,
sa porte, la lune.
Gaza est un miroir.
Nous y regardons depuis les confins de la terre,
Il nous regarde en retour.
Une victime en nous se voit en lui,
Un bourreau en nous se voit en lui.
Nous regardons
Nous témoignons
Une histoire
Qui se répète
Jour après jour.
Un bourreau
Une victime
Une victime
Un bourreau
Hier,
Nous avons regardé un film —
Les morts errants, massacrés dans l’oubli.
Peut-être était-ce Gaza :
Des enfants brulaient, des familles disparaissaient,
Un miroir de propagande.
En lui, les frontières s’estompent
Entre réalité et illusion.
Les lignes se dissolvent,
Les horizons disparaissent,
Les horizons émergent.
Ici, le monde —
Une belle prison,
sa porte, la lune.
Ensemble, nous affrontons
Les mensonges et les fabrications,
Les promesses sur les promesses
S’estompent,
Disparaissent.
La démocratie, une fierté —
Prêches et présages,
Belle de visage,
Marque de ses tatouages :
Des troupeaux pour la vie,
Des troupeaux pour la mort.
Refuser de se soumettre a un prix —
Comme depuis toujours.
Ici, le monde —
Une belle prison,
sa porte, la lune.
Les tyrans pèsent nos vies,
Dans la balance de leurs intérêts,
Dans la balance de leur confort.
Nous, et vous,
Voyons une vérité :
Nous sommes en surplus, inutiles —
C’est ainsi que nous sommes vus.
Ici, le monde —
Une belle prison,
sa porte, la lune.
Des explosions enflamment notre aube,
Des cadavres éclipsent notre jour.
Et pourtant, nous restons —
Plus que de simples victimes.
Nous célébrons la vie :
Avec de l’art, du théâtre, des festivals, des mots.
Nous affrontons la mort :
Avec de l’art, du théâtre, des festivals, des mots.
Ici, le monde —
Une belle prison,
Avec la lune comme porte.
Nous regardons son côté sombre.
Nous voyons, nous nous inquiétons.
Nous oublions, nous trouvons la paix.
Nous parlons.
De l’obscurité,
Les mots émergent en poésie.
Nous parlons.
De la poésie,
Les mots émergent en prose pour l’action.
Quand la tyrannie enfonce notre porte, souvenons-nous de notre droit à résister. Quand nous profitons d’un moment de sécurité, n’oublions pas notre pouvoir de rester fermes et de prendre l’initiative contre la tyrannie qui rôde juste au-delà de la porte.
Quand nous occupons un espace de rassemblement, donnons-lui vie — comme une scène, une plateforme, un espace pour l’action. Qu’il soit un lieu où nos pensées, nos peurs, nos fardeaux et nos contradictions émergent de toutes les manières possibles ; une étincelle pour allumer la réflexion dans nos pays, avec les nôtres, dans nos espaces, et partout où notre influence peut atteindre.
Vivez. Restez. Agissez.
Car vivre, rester et agir sont des étendues —
Des espaces culturels, politiques et sociaux ;
Une terre de vie,
Une terre
de rêves et de poésie.
Ne transformons pas l’éclat de la lune
En une prison.
Car ici et maintenant,
Le monde est une prison,
la lune, sa belle porte.