Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > aménager le dehors
aménager le dehors
mercredi 14 décembre 2011
ligne de partage au-dedans, seulement la suivre, le doigt sur la couture de ce corps emprunté à la fatigue (lui rendre quand) ; la frontière intérieure brouillée entre trois territoires : le sommeil, la veille et ce qui les sépare, là précisément entre lesquels, moi, debout, debout encore, je marche, crie parfois (je m’entends crier oui, parfois, avec la voix des vieux gardes de Hamlet, sur le tour de ronde, en armures de guerre) : qui vive – qui vive me répond l’écho et je reconnais ma voix, c’est bien : je peux faire un pas de plus dans le noir, le noir s’épaissit en quelque chose de plus puissant encore qui me porte, éclaire par lueurs les bruits de pas qui se rapprochent : creusent les formes des trottoirs dans lesquels je m’engouffre avant que le ciel ne se ferme, peut-être, comment savoir, je ne saurai pas, je suis passé,
contre le mur rue Nollet, cette maison qui pourrait être la mienne : ma maison intérieure répandue dans l’ordre le plus exact, dans la violence et la tendresse d’une maison sans intérieur, ni toit, l’étalage du bateleur devant moi, le regarder : cette maison qui est la mienne déjà, mentale, vitale, précise, indéniable, à même le sol comme mes pas qui m’entraînent, où,
alors, emporter tout avec soi, comme mon propre corps sur moi qui l’emporte, comme la nuit l’emporte toujours, comme le vent, oui, pourrait emporter tout cela de cendres sur le lit ; des signes : se rendre responsable, non plus receptable, onde de choc de toute cette ville en moi battue, tu le sais, oui, que je suis là pour rejoindre cette part de moi qui ne m’appartient pas encore, qui se trouve, peut-être, dans le désir le plus proche, là même où je ne serai pas, et qui me jettera en bas de moi pour me dire : où tu habites est l’instant le plus sûr pour tomber, où tu habites, en désordre comme le visage, les cheveux : et se relever alors comme après une nuit passée sans en perdre une minute tant le désir de la voir passer sur toi comme un train ; et de cette maison soufflée sur moi, les arbres qui poussent sur les murs, ses fruits dans lesquels je mords jusqu’au supplice, me reste l’instant de cette mort qui demeure, et me traverse, de l’autre côté de laquelle je me tiens pourtant, le miracle, debout comme
devant un miroir couvert de buée blanche, et je souffle que la forme vienne, et la forme vient qui saura me nommer, boucle de cheveux perdus en moi sur le corps quand je me penche et m’inonde en lui : si dans le miroir peu à peu le visage se forme, mal rasé, découpé au couteau dans la blessure du jour, je ne vois pas encore ce qu’il contient, et les yeux, ce qu’ils reflètent, du miroir posé en travers de moi : le corps derrière qui vient et s’approche et vient me nommer, ce miroir
que je franchis comme un pont le fleuve où flottent encore les cadavres emportés, eux aussi, là où le soleil se couche, que je me dresse