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angles durs

mardi 24 août 2010


« L’expression est pour moi la seule ressource. La rage froide de l’expression. »

Francis Ponge



I’m Going in (Lhasa De Sela ; ’Lhasa’ 2009)


S’être heurté toute la journée dans les angles, à chaque coin de rue : c’est d’abord, comme toujours, de ne pas trouver les livres qu’il faut à la bibliothèque — comme toujours. Ensuite de trouver porte close aux endroits de la ville ouverts sans doute hier, et ouverts de nouveau demain : mais aujourd’hui, non.

La chaleur dehors est insupportable — dedans, elle est pire ; j’écoute la musique le plus légèrement possible pour ne pas l’aggraver et ferme les volets pour m’en protéger. Je travaille des heures dans le noir le plus lourd, la lumière qui passe à peine entre les rainures des volets.

Au bout de quelques heures, je me suis retrouvé devant cette idée : je n’ai rien devant moi que mes mots, sur l’écran. Ce n’était pas grand chose, au départ, juste une idée. Et puis peu à peu, c’est devenu plus que cela : un autre angle dur au coin d’une rue plus inattendu. On se bâtit une sorte de matière avec nos propres mains, et quand on essaie de la défaire pour l’élever plus haut, ou plus solidement, on n’a que nos mains pour cela, et elles ne suffisent pas.

On ne se retrouve pas devant un miroir, devant l’objectivation de soi, devant sa vie formulée, ou devant quelque chose d’écrit : mais devant une matière qu’on a à traverser.

Me suis dit cela, l’espace d’une seconde (ne m’attarde pas beaucoup sur la complaisance : l’impuissance de soi, et le reste, les blessures faussement portées après les nuits d’Idumée), et puis : recommencer — ce qu’il y a d’utile, dans les angles des rues, c’est comme on se coupe sur l’une surface, le sang ruisselle sur l’autre, et on bascule, on s’appuie, la rue a changé d’orientation, on se retourne pour voir le chemin parcouru : ce n’est que le mur, les cadavres sont invisibles derrière — on est forcé d’aller.

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