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ballade — solutions d’un rêve

vendredi 26 novembre 2010



Malmo Livs (Lady & Bird, ’La Ballade of Lady & Bird (live)’, 2009)


Musiciens à la voix argentine,
Doresnavant comme ung homme esperdu
Je chanteray plus haut qu’une bucine :
Helas si j’ay mon joly temps perdu.
Puis que je n’ay ce que j’ay pretendu,
C’est ma chanson, pour moy elle est bien deue :
Or je voys voir, si la guerre est perdue,

Clément Marot ([Adolescence Clémentine, ’Ballade — ’De soy mesme, du temps qu’il apprenoit à escrire au Palais à Paris’)


On me montre le livre, on me dit que je l’aurais écrit (je n’en ai aucun souvenir, aucun désir), je le prends, et le soupèse ; sur la couverture, c’est bien mon nom, mais je ne le reconnais pas. Je le repose, et voilà qu’on me le remet entre les mains (ces sourires qui m’entourent m’écœurent, moi, je veux seulement sortir, il fait si chaud dehors, du moins, je crois).

Je l’ouvre — aux premières pages, je vois qu’il s’agit d’un journal, d’un récit sous forme de journal, ce que je déteste (avec le nom d’une ville, puis la date, et le texte, etc.). Cela m’écœure encore plus. On appuie sur moi des regards bienveillants, doucereux, insupportables.

Sur les dernières pages, le livre est imprimé avec mon écriture, ma mauvaise écriture irrégulière, trop hâtive, imprécise, ronde. C’est trop. Je repose une seconde fois le livre, et en sortant (tout le monde a disparu), je répète à voix haute la phrase qui terminait le livre, certain qu’au réveil je l’aurais oubliée — au réveil je ne l’ai pas oubliée, mais elle n’a aucun sens : toute une vie vaut bien cette guerre.

Il y a une chute au rêve : elle est venue longtemps après le réveil. Quand je suis sorti, dans le soir encore clair, près de la poste, deux personnes discutent violemment, au loin, je vois que c’est une jeune fille et un homme, très grand, immense, lui s’emporte surtout. Je ne sais pas si c’est parce qu’ils vivent dans la rue ou parce que l’homme est impressionnant, mais personne ne vient s’interposer entre les deux : je suis trop loin, j’entends les cris, c’est dans la galerie commerciale, on passe à côté d’eux, personne ne dit rien. L’homme est très menaçant. Quand je passe, il semble calmé, et la fille (dont le visage si jeune est démenti par un regard de vieillard) lui prend les mains, elle dit (voix d’ailleurs, et syntaxe comme d’un autre siècle, posée, comme tirée tout droit du phrasé des romans anciens) : ne me fais pas la guerre, ça ne vaut pas.

Elle répète, non, ça ne vaut pas, et le type lui tourne le dos et s’en va dans une injure ; elle, elle reste là. Quand elle pose les yeux sur moi au moment où je passe, elle me regarde avec méchanceté, s’éloigne, et c’est à moi, je crois, qu’elle adresse l’injure.