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ce que nous nommons chemin

[Journal • 23.01.22]

dimanche 23 janvier 2022

Il y a un but, mais pas de chemin ;
ce que nous nommons chemin est hésitation.

Kafka, Journal


Autour du pont qui enjambe les rails derrière Saint-Charles vers la Belle de Mai, la ville est dépeuplée : dehors, rien ; au-dedans du ventre des immeubles, quelques éclats parfois, des cris ou de la musique — partout des commerces fermés, la plupart pour toujours, certains affichent encore des numéros de téléphone à huit chiffres, d’un autre siècle, ceux de l’enfance, peints a fresca à même parois comme les bêtes fabuleuses d’autrefois, dans le même fol espoir de vivre dans l’éternité ; et cette pensée, au milieu du quartier mort vendu aux promoteurs, abandonné plutôt : que devient le chemin de fer quand le train ne passe pas ?

C’était mercredi — l’année avait repris, et avec elle, la route de Marseille à Aix, les retards ; parler devant cent étudiants en essayant de trouver les mots (ce sont toujours d’autres qui viennent) ; se rendre dans les théâtres ; entendre des paroles ; chercher la présence ; la colère ; ne pas dormir ; prendre des photos aux jours comme aux étalages d’un marché un fruit en espérant que le vendeur ne s’en apercevra pas ; vieillir ; n’être pas mort : voilà pour cette semaine.

Je regarde sur la carte virtuelle — street view, un de ces syntagmes intraduisibles — la route qui mène au nord de la Péninsule bordant la rive méridionale du Lac Huron, et le paysage me désole de bicoques flambant neuves, de villages pour retraités, drapeaux canadiens fièrement pavoisés, clubs de plongée, forêt entretenue, tout le ravage du monde : peut-être est-ce pour le mieux qu’on ignore où sont les fosses communes Wendats dans lesquelles reposent les derniers guerriers d’Aatentsic — je regarde les paysages, il n’y a plus que le ciel qui pourrait être le même qu’alors, quand on brûla les ultimes cadavres, et il change chaque jour.