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ce qui commence maintenant

vendredi 27 mai 2011


Black Road Shines (The Apartments, ’The Evening Visits... And Stays For Years’, 1985)


Froid
Dis-je
Noir dis-tu
Pour dire à l’unission
Des dieux d’ombre,

Mais pourquoi ne pas dire
Rouge et feu
Les sûrs garants de la nuit
Piliers de l’hiver
Au porche de l’obscurité ?

André Pieyre de Mandiargues , Ruisseau des solitudes, ’Rébellion’


Je toucherai bien la fin de la ligne : aller mettre un terme à ce qu’il faudrait désirer — comme cette journée fut longue, de tant de jours et de semaines ou presque : mais si je me retourne sur ces mois, c’est un clignement d’œil, et de larmes tombées que rien ne lavera ; oui, ce qui commence maintenant, à l’échec de chaque vague remontée jusqu’à moi, j’y suis (j’y suis toujours). Ce qui commence n’aura pas de terme et pourtant, j’irai là, écrire pour en commencer la fin.

Aimanter la fatigue, je dis, comme je respire, remonter à ce corps, les gouttes de sueur, on n’atteindrait que le creux du cou offert (je n’atteindrai, moi, que cela) : remonter la route, d’un fleuve qui rejoindrait, là, quelque part, à l’aine, sous le pli du bras, à la morsure du cou, cette espèce de mort, près des fleuves quand la mer pousse le courant en amont, ces terres mortes, qui donnent naissance au lever des soleils ?

De septembre à juin, c’est la ville empruntée en tous sens — puis, de juin à août : pour moi, c’est de vouloir la nommer qu’il faudra recommencer à vivre ; habiter ces couloirs, peupler intérieurement ces circulations. On me demande si je prends des vacances. On me demande cela et je ne sais pas vraiment quoi répondre. Je ne dis rien — on ne répond pas, peut-être qu’on me plaint. Moi, je continue de ne rien dire. C’est que le travail commence, alors. Et comment le dire : que ce travail n’est pas un travail. Et le temps couché de l’aube jusqu’au soir, cela commence aussi. C’est un long travail pourtant d’en raconter les heures pour mieux les posséder, les rendre visibles. Oui, entre, la respiration de vivre : cela commence encore, de l’écrire.

Il y a une route quelque part, où s’étendre de tout son long peut-être. Il y a une route qui termine, qui arrive quelque part, va rejoindre des masses mouvantes de routes sans directions. Sans doute. Jusque là, il y aura une manière de les vivre avant elle — alors, qu’on nomme cela le désir, ou le travail, longue vacance des tâches à effectuer, au profit des seuils à repousser. Peu importe.

Remonter ce corps le long de ses sueurs, le doigt posé sur la couture des choses, c’est trois mois où les projets accumulés, rêvés, échoués mille fois dans le cœur avant de les écrire (mais porter suffisamment ces livres non écrits en soi pour qu’ils résistent à l’oubli, et les oublier cent fois, voir ceux qui restent et qui seuls méritaient de le demeurer), se dressent en forme de lignes avancées ; ce n’est pas un métier, une hygiène, un besoin — l’écrire, seulement une façon de voir aux termes de sa propre histoire les routes où aller, des manières de mourir à ces routes, à ma propre vie surtout. Le long du corps la main posée, de désir prolongera le corps. Les vagues échouées, et la route, où aller, tracée pour aller s’y confondre — y aller pour cela, sentir sous le pas cette terminaison du temps qui saura m’inventer.


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