Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > ces autres manières de vivre
ces autres manières de vivre
vendredi 10 mars 2017
Zbigniew Preisner, Lacrimosa
Brother. Mother. It was they who led me to your door.
Dans ce monde qui s’efface, on le pressent bien tous – on en mesure à la fois la peine et le soulagement, et combien ce sera sans doute tant pis pour lui, et non tant pis pour nous –, on avance malgré tout, dans le malgré tout des soirs de mars où le ciel continue de se lever chaque jour plus loin, chaque soir dans la nuit plus reculée encore, nous avec lui : leçon que tout cela, leçon encore mais sans réponse claire, simple leçon, inexemplaire route qui se lance au loin, tout près, comment savoir, oui ; ce pourrait basculer, cela bascule chaque jour : la preuve, le ciel, la ville battue au cœur des choses, les corps des hommes qui creusent en chacun le chemin terrible et sacrifiée de la seule révolution désirable, celle qui nous sera commune.
C’est chaque jour l’histoire. Dans les journaux, l’autre qui s’écrit ne concerne que les puissants, ceux qui ont partie perdue. Pour les autres, on arrache chaque jour sa peine, elle ne suffit jamais. Journal de ces jours : quand on les lira dans vingt ou trente ans, nos jours écrits vaguement en pure perte, écrits pour nous seuls et qu’on confie à la poussière ou au désespoir, ce sera peut-être éclairant. Ainsi vivaient ceux qui ont commis ce monde. Mais non. Nous, nous voulions seulement être ceux qui le refusaient, pleinement, en conscience, et pour d’autres manières de vivre. Nous n’étions que ces autres manières de vivre. Nous ne cherchions que les mots pour le dire et les corps pour le vouloir. Et parfois, comme l’arbre dans le ciel rencontre certaines lignes tracées par le vol des avions, nous étions le mouvement qui s’incline vers le soir pour mieux le voir jusqu’à peut-être tomber, jusqu’à s’arrêter au bord, et jusqu’à dire : ce soir, j’écrirai cette lumière de ce soir, elle dira le jour, elle dira ce qui lui résiste tant et la désire autrement.