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comme la vie est lente
vendredi 16 juin 2017
Faut-il qu’il m’en souvienne
Guillaume Apollinaire
Samedi, Paris s’attarde sur tout ce qui autour de lui tremble lentement : jour à ce moment du soir où il est impossible de savoir ce qui tient du jour et de la nuit, comme dans la lagune le sel se mêle à l’eau douce, jour qui préfère s’allonger et sur les pelouses les corps aussi, ceux qui boivent et parlent, ou se taisent seulement sans rien attendre, la fatigue peut-être, celle qui ne viendra pas, comme une fin de phrase dont on aurait oublié le début, perdu lui aussi ce matin dans le soir d’un samedi lentement déroulé jusqu’au-dessus de la Seine, perdu dans le souvenir de la pièce de théâtre vue ce soir-là emportée avec le jour dans le tourbillon des eaux à la confluence de samedi et de dimanche déjà.
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
C’est l’image de ces jours - la seule qui reste et qui les contient tous : au-dessus de l’eau remuée, regarder le courant suffit pour parler et dire où nous sommes et ce que nous faisons, pour être ceux-là qui ici partagent le temps en deux comme du pain et de la vie, inséparables l’un et de l’autre par delà les arches sous lesquelles dansent encore pour la seule beauté du geste les vestiges du fleuve – il y a dix ans, je venais presque chaque soir sur ces ponts depuis le Sentier : dix ans plus tard, c’est toute une vie qui est là encore, qui tient dans une main, dans un regard jeté joyeusement comme des poignées de sable dans l’eau ; celle d’il y a dix ans a-t-elle rejoint les Amériques, les Indes ? Qu’importe : je suis ici ; oui, l’image de ces jours : le tremblé du soir à la surface de l’eau, du silence qui lie, le jour qui résiste, le temps qui n’existe plus, ou pas encore, emporté à chaque instant par des brassées de présent qui seules sont nôtres.
Et comme l’Espérance est violente