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comme une forme inachevée du présent
mercredi 30 août 2017
Pensée, infime pensée, calme pensée, douleur. M. Blanchot, Le dernier homme
Sleeping At Last, Moon
On a trop tendance aujourd’hui à considérer le passé comme une forme inachevée du présent – entendu à la radio au hasard, sans contexte ni suite : cette simple phrase qui insiste et colore ces jours, ces derniers jours de l’été avant l’année nouvelle, lundi. Lire Blanchot, Le dernier homme, aussi – et Bensaïd encore. Tenir à part égale la rage, la colère et la pensée calme, douleur : joie. Dans l’intervalle des jours, se tenir à distance et tout proche : tâcher de maintenir l’équilibre comme on marche, comme on tombe sans cesse et se rétablit pour avancer, pour aller.
Des rêves de la nuit, ne garder aucun souvenir, seulement des impressions. C’est la chaleur, ou un peu de fièvre, ou rien peut-être, le hasard des rêves : ou la lecture de Blanchot (achevée à l’instant). Le film d’hier aussi. L’impression, s’il faut l’écrire, serait celle-ci : une chute lente, une suspension sans peur, l’imminence chaque seconde que va avoir lieu le fracas, que va avoir lieu la fin, mais non.
Considérer le passé comme inachèvement console : rend possible le présent peut-être. Demain recommence : mais quoi ? En janvier, quelque chose du passé s’achève aussi. Comme chaque jour ; je ne sais pas. Ce doit être la fièvre aussi, la fièvre encore.
L’expression « force est de constater » est de plus en plus insupportable : on ne lutte pas pourtant face à la langue, à son usage de violence, à ses vérités stupides. C’est comme « voilà » qui ponctue les fins de phrase. C’est comme « du coup » qui les scande bêtement. On ne lutte pas ; on reçoit, on passe, on va aussi.
La phrase ne me quitte pas : le passé comme une forme d’inachèvement du présent. Moralement, je l’entends : oui, il faudrait penser le passé comme un tout achevé, qui serait à lui-même sa fin. Mais je ne me résous pas : le passé est une sorte de corps d’enfant qu’on porte encore – et qui ne cesse de grandir sur nous. C’est cela qu’on nomme l’histoire.
On est habité d’étranges rêves même après le sommeil – surtout après le sommeil quand les rêves s’achèvent et nous laissent avec seulement des impressions. Surtout dans ces intervalles de l’année brûlante, brûlure de fin de mèche, qui voudrait tout donner : chaleur qui ne lui servira plus à rien dans deux mois, alors elle lance sur nous ses derniers feux. La fièvre de la terre, de la mer, du ciel.
Dans le rêve, c’était d’étranges désirs aussi.
Et si c’était le présent, la forme inachevée du passé ? C’est cela qu’on nomme la lutte, oui – et donne des raisons de ne jamais en finir avec le passé, avec le présent, et avec les rêves étranges que donne la fièvre quand l’année, au milieu de l’année, se termine.