Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > contre cela tu peux toujours écrire
contre cela tu peux toujours écrire
[17•09•22]
samedi 17 septembre 2022
Qui te met en question Il n’y en a plus d’autre
Enfin la vérité Tu n’es qu’une citation
D’un livre que tu n’as pas écrit
Contre cela tu peux toujours écrire sur ton
Ruban qui pâlit Le texte passe au travers
Heiner Müller, Vieux Poème (non daté)
Ainsi meurt-on deux fois : dans un dernier souffle, et ensuite, dans le souvenir défait de ceux qui survivent — quant à ceux qui ont vécu en nous, qui nous ont laissé d’eux-mêmes la part la plus vivante de la vie, dans quelques livres, des films, la pensée qui fait honte à la réalité docile, ceux-là quand ils meurent, c’est pire encore : on les exécute d’un mot, on fait d’eux des auteurs de phrases mémorables, des compositeurs d’apophtegmes obscurs dont l’obscurité paraît gage de sagesse ou de vérité, de folie : Godard n’est plus, partout désormais, qu’une sorte d’oracle aveugle – regarder les dernières minutes, hier, d’À bout de souffle est évidemment un puissant antidote qui relance la rage de vivre, si c’était encore possible, et dans le regard terrible de Jean Seberg pour toujours posé sur nous, sœur de Monika, il y a tout ce qu’aucune phrase arrachée hors de propos ne saurait dire, et pourtant : depuis des jours maintenant, on se vautre dans l’art de la citation, et c’est pitié, vraiment — je lis ici ou là que certains regrettent que la Reine (de quoi ? Personne ne le dit) n’ait pas laissé de citation derrière elle, mais c’était là peut-être sa tâche, la seule dignité dont elle a fait preuve : un siècle durant, s’acharner à ne jamais, au grand jamais, ne laisser quoi que ce soit qui aurait pu ressembler à une citation ; fermons le ban avec le couvercle des cercueils devant quoi seize kilomètres d’individus attendent.
Le vent, partout : peut-être est-ce la seule matière qui se confond avec le monde et le sentiment d’être ici, et c’est aussi ce qu’on ne verra jamais et dont pourtant la sensation est la plus indubitable ; le vent, oui, rend seul et soulage : console, ravage.
Le soleil ne se couche que pour rendre possible le monde, de l’autre côté de lui (mais où : quelque part au milieu de l’Atlantique ?) : quand, ici, il est 19h45, il est bien 7h45 du matin quelque part — je pense à ce lieu, précis, où le soleil basculerait de l’autre côté du temps et je suis là.