arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > contre les montagnes

contre les montagnes

[journal • 13.07.22]

mercredi 13 juillet 2022


… comme une jeune fille qui chante un air sublime, contre les étoiles au nord, contre les étoiles au sud, contre les étoiles à l’ouest ; contre la lune ; contre les montagnes, semblables au loin à des roches géantes, gisantes dans l’obscurité…

Lautréamont, Les Chants de Maldoror


Deux jours seulement, mais si loin — aucun visage ou presque, les chemins tracés par le pas, le souvenir des villes immédiatement qui s’efface et le soir frappé d’étoiles, le bruit des bêtes au milieu de la nuit qui grattent le sol à la recherche de quel trésor et à l’aube quand il fait brutalement jour, vers cinq heures, que les insectes sont arrachés à leurs rêves et qu’ils hurlent soudain en cadence, ce qui bascule : on l’ignore à vrai dire, on se réveille, perdu comme dans le ventre du bateau à la dérive, la tente ne protège que de la croyance aux dieux, il fait froid, on pourrait être il y a mille ans, quelques cendres refroidissent entre deux pierres, le feu est mort, tout est à sa place.

Les pensées qui viennent quand on marche ne sont destinées qu’à elles et à la perte ; le reste appartient à la fatigue, le froid des deux mille mètres, et quelque chose qui n’a pas de nom, l’intériorité quand elle se confond avec le grand dehors cerné de montagnes.

Le soir, en descendant à la source, je croise un jeune garçon (il m’appellera monsieur), affolé et courant sur le chemin : j’ai perdu ce que j’ai de plus précieux, mon foulard, et les Chefs refusent que je rentre au camp si je ne le trouve pas (la nuit tombe, je lui propose ma lampe qu’il refuse avec orgueil, il est déjà parti dans la pente) — son regard tranquille, joyeux, ignorant de tout sauf de la colère des Chefs, priant peut-être dans sa course le Dieu doux et implorant sa pitié, je le connais par cœur, et la tristesse que j’éprouve pour lui est sans égal.