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contre-tendanciel
samedi 6 mars 2010
Regarder la réalité en face : ne pas s’écarter de cette exigence — prendre en compte la totalité des paramètres (vitesse du vent, intensité de la lumière, teneur de fatigue dans le sang, hauteur des lucarnes, gramme de violence contenue par volume d’air expiré) : et tenir les comptes à jour : à chaque secousse, le jour perd du temps sur lui-même. Lui en restera-t-il assez, à l’heure du bilan ?
Le séisme survenu samedi au Chili a secoué la Terre… et très légèrement modifié sa vitesse de rotation. Donc la durée du jour, qui aurait diminué de 1,26 microseconde selon les calculs de Richard Gross (Nasa). La nouvelle a fait la une de plusieurs quotidiens.
Plusieurs quotidiens, cela fait combien de jours ? Assez pour rattraper le temps perdu ? Quand on fait le tour de la terre en avion, dans un sens puis dans un autre, le décalage horaire peut-il nous faire perdre du temps — gagner quelques heures de vie sur la vieillesse ? Vieille fable. On avait mésestimé la puissance des tremblements de terre pour ralentir le temps : ça aurait pu être une idée. Mais l’idée s’est révélée, bien-sûr, fausse.
Pourtant, ce phénomène — l’effet sur la durée du jour de la modification de la répartition verticale de la masse terrestre — survient à chaque gros tremblement de terre. Et modifie moins la durée du jour que d’autres phénomènes, comme les variations des marées, les courants océaniques et atmosphériques.
J’imagine que sous l’effet associé de marées puissantes, de vents violents, de tremblements de terre par séries, on pourrait conjurer tout ce temps perdu à vouloir le rattraper. J’imagine et déjà je me désole : à trop regarder en détail les réalités se défaire, on ignore parfois qu’on fait partie de l’une d’elles.
Cet imperceptible raccourcissement est d’ailleurs contre-tendanciel. Depuis sa formation, la Terre tourne de plus en plus lentement sur elle-même. Ainsi, au 1er janvier 2009, les maîtres du temps avaient ajouté une seconde à leur horloge atomique.
Je me souviens de ce jour où on avait décidé d’ajuster le temps à notre temps — je me souviens d’avoir pensé combien la mesure exacte des choses étaient arbitraire elle aussi : et d’avoir rêvé en secret dérober cette seconde pour l’enfouir dans des terres qui n’appartiendraient qu’à moi. J’aurai laissé le monde sans cette seconde, démuni, en quête toujours de ce retard creusé à chaque seconde. Et moi seul, en possession.