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dans l’écriture des jours d’oubli
dimanche 13 mars 2016
Et l’héroïsme est un joug qui l’oppresse.
Saint-Just, Organt, 1789 (poème lubrique)
Ce soir, la nuit tombe sur toute la semaine — et sur les précédentes, de tout son poids, de toute sa hauteur de nuit. Je relis le long poème de Saint-Just, évidemment illisible, débordant de tout un désir de littérature, un désir de désir qui l’entrave ; et l’ombre invisible de l’Histoire plane sur elle et recouvre chaque vers jusqu’à les avaler.
Hier, le soleil paraissait se lever infiniment au-dessus de Marseilleveyre, remonter les roches et les arbres, basculer de l’autre côté du ciel peut-être ; grimper jusqu’au sommet ne servait qu’à le chasser davantage. Sous nos pieds, la mer venait battre sans mesure. Impossible de regarder ensemble la ville et la forêt et la mer et le ciel, et dans ce qui nous dépassait sans contour, se dire qu’on était peut-être la destination et la source de tout cela, ce tout qui n’avait besoin ni de destination ni de source pour aller et venir, et s’échouer à nos pieds.
Avant-hier, et en remontant jusqu’à lundi, rien que des jours traversés de Marseille à Aix, dans le souci de conduire le matin jusqu’au soir debout, et peut-être vaincu (jamais vaincu).
Des beautés, des forces et des outrages qui maintiennent à flot dans le courant des jours – je les passe sous silence.
La semaine dernière, le miracle d’une naissance : l’enfant qui vient de naître est d’une fragilité aussi immense que la vie qui s’assemble en lui. On regarde infiniment cet enfant : il possède tous les secrets, sans doute, des origines – et n’en dira rien. C’est l’autre miracle : les origines dispersées dans le silence qu’il garde, les cris qu’il lance à la vie. Oui, on ne se lasse jamais de regarder un enfant qui vient de naître. Peut-être à cause de la mélancolie de voir la vie grandir à vue d’œil et le quitter, et le voir changer, et devenir : peut-être à cause de la splendeur de mesurer dans les cris la vie se conquérir minute après minute et devenir de la vie.
Je pourrais remonter le fil des jours en arrière jusqu’au jour où pour la dernière fois j’ai écrit dans le journal irrégulier du contretemps, mais plus j’écrirai plus je constaterai combien ces jours sont faits désormais de davantage d’oublis que de souvenirs. C’est ainsi ; c’est bien.
Je replonge dans les discours de Saint-Just pour comprendre de quoi est fait ce temps, la nuit qui est tombée, l’histoire qui ne cesse de commencer, et tous ces jours ensemble amassés jusqu’à moi et tissé d’oublis, massacrés sauvagement dans les mémoires, et qui pourraient tenir dans le cri d’un enfant qui ne sait pas son nom.