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dès longtemps dévorée, la rose (et le tas de cendre)
lundi 10 juin 2013
O la poudre des saules qu’une aile secoue !
Les roses des roseaux dès longtemps dévorées !
Mon canot, toujours fixe, et sa chaîne tirée
Au fond de cet œil d’eau sans borne — à quelle boue !
La terre d’orage avant l’orage dans le ciel, je pourrais la regarder toute la vie, en faire ma tâche de chaque jour : chercher les endroits du monde où l’orage va tomber, c’est un métier que je veux bien accepter pour être vivant, et apprendre à savoir quand cela va éclater, où la foudre en premier va tomber, où le bruit va se répandre (l’enfant m’a bien expliqué : d’abord la foudre, ensuite le tonnerre), et où le feu : je serai là, je serai là, ce sera le seul endroit où je serai.
Par la fenêtre derrière les rideaux rouges ce soir, il faut me pencher pour regarder l’orage, c’est entre deux immeubles, la lumière noire qui est si loin, moi je tends les bras, je regarde de tous mes yeux, et je ne vois rien : tout est déjà passé, tout n’est pas encore là (c’est comme dans les trains, quand je veux prendre une photo de l’horizon, toujours les arbres surgissent, et quand je le repose, les arbres s’affaissent et me laissent voir : le jeu cruel), je ne suis pas là où la lumière noire naît et meurt, toujours là où je peux la voir s’éloigner.
Hier soir, tard, marcher rue Tolbiac : ce tas de vêtements, de peaux mortes de meubles, la noirceur plus noire encore que la lumière de cette nuit : un incendie, et on aura rassemblé les choses mortes de suie ici, à même le trottoir. L’image est belle, de cendres, de cette vie qui passe, et dont je ne peux voir que ce qui lui a succédé : je rêve fort de flammes et j’aspire tant au feu, moi qui ne marche que sur les braises froides. J’ai regardé longtemps le tas noir, avant de partir.