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devant la faille : la folie, ou la révolte
jeudi 20 septembre 2018
À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante.
K. Marx
Nick Cave & The Bad Seeds - The Mercy Seat (Live From KCRW)
C’est d’abord une simple faille sur un mur, au coin de la rue où je vis. Une faille imperceptible, et déjà, fraie en moi l’image de la catastrophe : cette faille que je n’avais pas vue, devant laquelle je passe chaque jour, et qui est là depuis longtemps, depuis toujours. Il fallu que mon lacet se défasse, que je me penche, que lentement je me relève, que ce geste minuscule me terrasse de fatigue, que je m’arrête de vivre un peu dans l’entre deux des choses où l’épuisement nous jette, que je lève les yeux plus haut que ma fatigue, que je sente que quelque chose me regardait depuis des siècles pour qu’en retour je perçoive la faille le long du mur qui était là, m’attendait et en laquelle je m’anéantis.
On est peut-être, face à l’histoire, cette faille : ce mur que déchire lentement une faille qui finira par nous jeter bas tandis qu’on s’échine sur la courbe qu’épouse la faille, sa vitesse de croissance, l’origine de ses forces. La catastrophe a déjà eu lieu, nous sommes de l’autre côté d’elle : je regarde la faille lentement avec cette pensée que le mur est déjà tombée, et qu’il l’ignore.
Si la lutte des classes est le moteur de l’histoire, que penser de la classe qui n’exploite pas ni n’est exploitée, mais qui est tenue pour rien dans l’histoire des forces en présence, négligée par l’une, ignorée par l’autre, déposée en marge des choses et enjambée par les hommes, les femmes et leurs enfants ? La classe inutile ? Ce monde décidément ne nous laissera le choix qu’entre deux attitudes dignes : la folie, ou la révolte.
À la sortie de la ville, juste avant de prendre l’autoroute vers Aix-en-Provence et l’université, un feu m’arrêtait toujours au bord d’un bidonville minuscule : quelques maisons de tôles, des amas de détritus sous lesquels ils vivaient, on voyait parfois des corps sortir, ramassés sur eux-mêmes, des enfants jouer parmi les gravats, et rire. Le bidonville a été évacué cet été : les pouvoirs ont planté d’immenses pierres de taille sur le terrain vague pour empêcher toute nouvelle implantation des hommes et de leurs vies. Bientôt, les travaux sur l’autoroute vont finir et peut-être qu’ils vont retirer aussi le feu, et je passerai. Peut-être qu’un jour j’oublierai qu’ici des hommes et des femmes ont dormi, et rêvé (je n’oublierai pas).
La faille sur le mur, est-ce qu’elle sait qu’elle l’emportera sur tout ?