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disharmonie numérique, ou la vie des ruines
lundi 22 janvier 2018
Kafka, Aphorisme, n° 41 (éd. Joseph K, p. 23)
Message to Bears, « Unleft » (Folding Leaves, 2012)
Marcher dans les ruines de la semaine, au milieu des chemins en ruine parmi les ruines de quelques bories abandonnées a cela de puissant que la fatigue le soir apaise. Après les semaines qui viennent de passer, il faut au moins cela : ce mouvement de la marée quand elle s’enfonce dans la mer derrière elle, et qu’elle laisse le ravage calme des profondeurs à nu. En être là, après ces semaines, et pourtant, rien n’a commencé : ni l’année, ni le semestre, ni rien — mais cette impression féroce que je suis après, oui, et qu’il faudra commencer, que c’est l’heure de nouveau de commencer, enfin.
Ce moment est à l’entre des choses : le texte écrit est un livre, toute une vie qu’on aurait voulu jeter là, mais le livre n’est pas encore paru — et il faut attendre deux semaines encore. Pourtant, est-ce qu’il faut attendre ? Non, sans doute pas : on ne gagne rien à suivre de tels ordres. Je marche dans les chemins de boue qui longent ces maisons en pierre, ces maisons de pierres coupantes, mais rondes (qui appellent à la caresse pour suivre leurs contours), et qui sont de tant de leçons. Des maisons bâties sous forme de ruines : mais qui n’en seront jamais, et nous serons, nous, des ruines bientôt et bien avant elles. Oui, la leçon est féroce, elle fraie tranquillement dans le dimanche entre deux jours.
Tout est à commencer donc, encore. J’ai mille notes en retard sur mes jours que je n’écrirai pas ; des notes sur des spectacles qu’il me faudra écrire, sur mes lectures ces derniers mois — et tant de retard sur tout. Le contretemps de mon journal est terrible : heureusement, dans le retard cet après-midi aussi, j’ouvre par désœuvrement Kafka et je trouve la phrase qui immédiatement lance ces mots. On n’a pas besoin de grand-chose pour arracher quelques morceaux de peau à nos jours. Kafka, et la disharmonie numérique. Je jette un regard sur le tas de livres à côté de mon bureau qui est aussi le retard comblé de ces trois dernières années, amassé en quatre cents pages qui sont intérieurement bien davantage. La vie de Koltès est aussi cet appel — au juste, elle ne sera jamais écrite, et cela aussi console, conjure. Lu hier Dans l’abîme du temps, et la langue de Lovecraft décape fort en soi. Il y a des armes partout où qu’on se penche et prêtes à servir. Mais pas servir comme eux s’en servent dans ce monde. Il faudrait décidément d’autres mots, pour dire combien en finir est commencer, et détruire est bâtir, et la ruine un pur désir d’avenir. D’autres mots, mais on n’a qu’une vie, et c’est toujours celle-ci.
Que le réel est ce qui s’obstine à être malgré tout : c’était la pensée au réveil. Et cette autre, qui la suivait — et qui allait précéder l’oubli total du rêve — : vite emporter ce jour plus loin que soi.