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en travers
dimanche 16 mai 2010
I, Andrew Bird ("Weather System", 2004)
Anything but hear the voice
That says we’re basically alone
J’aurais bien en travers de la gorge ce mot mal dit, imprononcé plutôt, qui devant lui m’aurait délivré de ce poids depuis l’aube grandissant jusqu’au milieu de l’après-midi où le voir, et ne rien lui dire. L’imagination est un palindrome : quand on le retourne comme un gant, une fois, deux fois, c’est autre chose qu’on a en soi : et on a perdu jusqu’au souvenir de ce mot. Je me suis tenu devant lui une minute de plusieurs heures, et suis parti sous ses insultes, forcément.
Du haut de la passerelle provisoire (mise à bas prévue cet été : irai voir), la place vide devant soi sous les yeux, ou plutôt sous les pieds. Le mot de tout à l’heure revient, trop tard, deux heures trop tard : mais qu’est ce que cela change. Sur toute l’immense place, les restes d’une fête, de celles qui se tiennent sans raison toute la nuit : poubelles éventrées, graviers piétinés (et plus étrangement : des centaines de clous qui tapissent le sol). Se redire en soi même l’excuse informulée, informulable, sans objet, sans cause mais de toutes les fins.
En rentrant, quand je relève les photos sur l’appareil, j’aperçois sur une image prise sans regarder ou presque (comme à chaque fois), l’oiseau en travers : interruption du vol dans l’instant précis de la chute qui s’en empare — impression pour toujours sur la photo de ce qui n’a pas eu lieu. Pensées au mot de tout à l’heure lui aussi interrompu et jamais intercepté ; à ce qui se met en travers de soi : ce qui ruine la relation, qui en est aussi sa condition.