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entre les tours
vendredi 21 octobre 2011
Des corps irréels, tendus sur l’arrière fond de ce monde comme une toile peinte sur les théâtres fabriqués jadis pour les histoires. Mais l’histoire est passée, on n’en connaît plus. À la place, on construit des grandes villes qu’on ne sait pas habiter. Décors fabuleux, mais dont la fable est cette rêverie intérieure qu’on jette sur ces tours, et qu’on formule malgré elles, pour mieux les entendre, ou mieux les voir. Laideurs objectives des quartiers d’affaires qu’on transforme par le biais du regard en beautés des aberrations mentales : il a fallu qu’un homme couche sur le papier quelques lignes (à main levée peut-être et dans le corps à corps du grain de papier contre l’épaisseur du crayon) pour que ça surgisse. Cela a eu lieu, mais on ne reconnaît rien. Où est la ville ? Moi, je circule ici.
Et puis, je sais. Je sais ce qui manque, ce que les tours désignent dans leur hauteur. L’espace entre deux tours me le montre. Ce vide du ciel qui dessine une autre tour. Un échafaudage invisible. Image parfaite de ce moment, et du moment qui va suivre. Le pont entre deux solitudes qui les annule – je l’invente pour moi alors, comme je longe tout cela, innommable, et que je vais rejoindre l’Arche.
Une rencontre n’est pas autre chose, évidemment, que cette espèce de puissance muette et vive qui dévisage – fait dresser l’image négative (comme on parle de main négative) de la relation : c’est cela, l’adresse, et l’accord. Les cheveux blanchissent, cette évidence reste. Des franchissements de vide que tisse le ciel. Il y a là-haut des avions qui s’appuient sur lui pour passer. Passer où. Peu importe. Le passage se fait. Ce qui dévisage, c’est l’évidence que le vide entre les deux tours est plus peuplé, plus riche, plus dense que ces deux immeubles de verre aux transparences vaines. Je passe. Il y a un manège d’enfant, il ne tourne pas. Autour, le vide du ciel s’impatiente un peu. Je me retourne, il se pose sur le verre et prend sa place.