arnaud maïsetti | carnets

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et mourir ce que j’aime

lundi 30 août 2021

Y mourir ô belle flammèche y mourir
Voir les nuages fondre comme la neige et l’écho
Origines du soleil et du blanc pauvres comme Job
Ne pas mourir encore et voir durer l’ombre
Naître avec le feu et ne pas mourir
Étreindre et embrasser amour fugace le ciel mat
R. Desnos, Infinitif


Comme une blessure à hauteur d’hommes sur cette rangée d’arbres, une coulée de sang, nette, déposée sans effort comme on tue d’un geste, comme on caresse sur la gorge la pointe du couteau. Dernières lumières du jour, ce dernier jour de l’année — demain, il faudra rentrer, et comme chaque année, c’est le mystère : on ne sait pas d’où on rentre, où l’on entre, par où s’échapper. Il faut regarder sans baisser les yeux la prophétie du soir : cette entaille sur le monde que fabrique pour nous seuls la nuit quand elle tombe sur tout ce qui existe, lumière plus terrible parce que déjà effacée à peine déposée, déjà lointaine quand elle se fait, déjà emportée pour toujours au moment où soudain.

Au milieu de la nuit, réveil brutal : au-dessous du genou, comme une morsure ; et le lendemain, je boiterai un peu, la peau sera dure, et deux crochets saigneront. Sans doute une araignée. Je l’imagine aller sur ma jambe, et repartir, et revenir, et soudain, pour se défendre d’un faux mouvement que j’aurais esquissé dans mon rêve, se jetant sur moi, espérant peut-être me terrasser, et le faisant ; et s’éloignant, ivre du sang, comme un baiser dans le soir qu’on dépose avant de partir parce qu’il le faut, dans la terreur, et les larmes, dans la fatigue, et l’ivresse : la joie de m’arracher à la nuit et de me jeter dans ce monde vague, qui tangue.

Peu de choses en vérité ne sont pas des leçons, pourvu que de ces leçons on ne tire rien : ni morale ni sagesse, seulement l’énigme qui lance, seulement plus de désarroi, plus de colère de ne pouvoir faire face à la réalité, plus de rage de s’en revêtir malgré tout, comme un vêtement trop grand qui prend pourtant la forme de mon corps.

Gagner les hauteurs abandonner le bord
Et qui sait découvrir ce que j’aime
Omettre de transmettre mon nom aux années
Rire aux heures orageuse dormir au pied d’un pin
Grâce aux étoiles semblables à un numéro
Et mourir ce que j’aime au bord des flammes