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et tout le travail recommence
mercredi 5 mai 2021
Quand je commence à écrire après m’être interrompu assez longtemps, c’est comme si je tirais les mots du vide. En ai-je obtenu un, je n’ai encore que celui-là et tout le travail recommence.Kafka, Journal (le 14 décembre 1911)
Soudain les arbres explosent d’ombres sous les pas, personne n’était préparé. Que le monde recommence semble d’abord déplacé, vaguement écœurant même ; l’indifférence du monde comme si nous n’étions rien, comme si toute cette réalité valait cette peine. Elle ne la vaut pas, plutôt qu’on l’abandonne dans un coin de cette existence, et qu’on n’en parle plus. Mais les martinets reviennent, et les feuilles aux platanes. Il y a des jours qui succèdent à d’autres. Il faut soudain s’assoir dehors, et on n’a pas froid. On regarde le jour passer comme s’il était possible. Il fait nuit, mais ce n’est pas si grave. Alors, on considère de nouveau le miracle des recommencements : on tâche de lui arracher le secret.
Ce n’est pas vrai que le monde soit condamné à n’être que cela, cette époque-ci, qui ne cesse de jeter ses regards sur le pire du passé, et sur le plus médiocre des avenirs. Aujourd’hui, il fête la mort d’un Empereur plutôt que la naissance de Marx. Oui, l’histoire n’existe que pour choisir ses camps. Ce n’est pas vrai qu’elle soit vouée à n’être qu’une fosse commune où pourrit ce qui pourrait venger nos morts.
Sur la page, ces jours, les mots manquent pour dire le vent, la salubrité manifeste du vent, les arbres dans le vent. Est-ce qu’en langue algonquine on possédait mille et un mots pour le dire ? Je le crois. Le mois de mai a commencé et avec lui comme toujours des promesses, des désirs, la folie de penser que tout pourrait se renverser. Décidément, la seule aide qu’on pourrait apporter à ce monde consiste à le précipiter dans un gouffre. Je lis les récits de création chez les Premières Nations comme si je devais y trouver le secret. Je sais qu’il y est. Je chercherai encore demain, et après-demain. Et le jour d’après, en désespoir de cause.