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François Bon | Une réorganisation du monde
vendredi 2 novembre 2012
Affrontements — l’un des textes de Michaux qui m’importent le plus et au plus haut. L’été dernier et jusqu’à l’automne, l’ouverture d’un blog — que je ne signerai pas : on a parfois de ces besoins d’espaces et d’affranchissement — à partir de l’incitation de ce mot (et de plus loin aussi) avec fiction continue sur voix, visage, corps, combats, ceux qui se donnent contre soi aussi.
Quand François Bon me propose il y a peu un échange pour les vases-communicants, c’est presque naturellement à partir de ce mot et ce qu’il convoque. Michaux en partage (je sais la place qu’il occupe pour lui), mais pas seulement, non : et ces derniers jours par exemple, dans le croisement entre fictions sur la ville et son imaginaire quand le numérique la réinvente, ouverture d’un chantier sur Hendrix, hommage au poète disparu, mais aussi espace de mise en demeure du monde, l’inacceptable de sa violence, la dignité de lui faire face, cette question qui brûle : qui sont les assassins de Jallal ?. Tout cela ensemble et comme en même temps parce que c’est toujours un même monde devant lequel écrire, et face auquel répondre aussi.
Si le site est son atelier, on est nombreux pour qui il est aussi territoire essentiel de ces lignes brisées qui portent tous même exigence de commune présence. Et toujours, en parallèle (parallèles qui se croisent aussi évidemment) l’énorme travail publie.net, cet autre espace de haute respiration.
Grande joie d’accueillir son texte alors dans mes carnets, à partir de ce mot d’affrontements et comme une prolongation des fictions de son labo, où comment faire face au monde en l’inventant autre. Puis, simplement dire que l’échange revêt pour moi d’autant plus de sens, en ce mois de novembre ; merci pour l’accueil dans tiers-livreEt d’autres vases communicants ce mois — pour m.h.
Dans le monde d’après les affrontements on avait préféré diviser les terres, les mers, les montagnes, les pays en zones parfaitement délimitées.
Chacun savait où il était.
Si on se déplaçait, on prenait les routes, on tournait à gauche, à droite, on continuait le temps qu’il fallait et on arrivait à sa zone de destination.
On n’empiétait pas, on ne s’installait pas, ne demeurait pas, ne communiquait pas.
Quand on était dans sa case on avait tous les droits, recevoir, échanger, parler à distance, s’équiper.
Des entrepôts, des fabriques, vous parvenait ce dont vous estimiez avoir besoin.
Ce que vous-même fabriquiez ou cultiviez ou organisiez participait à l’échange général. Les usines avaient adopté ce mode neuf de fonctionnement : partout au monde, c’était tellement plus simple si on restait chez soi.
Le mode d’emploi restait compliqué, parce qu’on avait été trop habitué, avant, à se déplacer sans précaution, à traverser les cases des autres, à proposer des villes où des fêtes et des concerts et des tribunes où chacun venait se mêler sur la même case.
Alors on avait ces signes, au sol, ces panneaux aux croisements. Non, la rançon de cette nouvelle paix, c’était notre respect de ce qui avait été décidé en commun, à échelle globale du monde. Tu pouvais aller jusqu’en Chine par la petite route droite, en tournant quand il fallait, et circuler où tu voulais.
Il fallait seulement respecter les signes au sol : les zones d’arrêt, de ravitaillement, de guidage, de croisement.
On développait maintenant les règles pour les malades, les morts, les incivils.
Pour qui n’entrait pas dans cette catégorie, la paix qui résultait dans le monde, et la tranquillité où chez vous on vous laissait, n’avait pas de précédent connu.
Le grand affrontement avait permis enfin la réorganisation territoriale, on avait refait un monde qui autorisait l’humain, à condition de les séparer tous et chacun.
On n’aimait pas ceux qui tenaient désormais discours contre les routes trop droites, et la porosité des lignes.
On avait rétabli ses habitudes. Tout allait mieux.
On avait enfin la possibilité de distance.