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habiter dans la conquête du vide
samedi 3 septembre 2016
J’aimerais qu’il existe des lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources…
De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête.
G. Perec, Espèces d’espaces (1974)
Devant le vide, certains sautent, d’autres reculent, la plupart ne le voient pas – ici, pour quelques heures dans la maison vide, je le regarde lentement , tâche d’y trouver leçon pour mieux ne pas la retenir. En haut d’une falaise, on ne voit que de l’horizon. Dans les combats, le point le plus haut d’une barricade bascule toujours sur d’autres armes pointées vers soi. Le vide, comme le désir, lui, ne bascule pas. C’est le contraire du manque : seulement l’appel vers des conquêtes qui l’élargiront. D’où vient l’affection égale pourtant tenue vers les barricades et vers le vide ? La plénitude, et le retrait ?
Dans la maison vide : on ne sait pas si on est après ou avant. Partout ailleurs, on est toujours après, même avant. Ici, ce vide est du temps qui vibre de tout un passé mort, qui restera toujours. Le vide de la maison, on le perçoit dans sa chair : par le bruit mat qu’il renvoie sur nous, comme un soupir étouffé. La maison vide est le contraire d’un lit : dans le lit vide on est toujours aussi dans l’après. Ou dans les soupirs consentis, dans la fatigue qui se refuse, qui se donne, ou s’abandonne. Un lit n’est rien d’autre que la promesse des draps défaits. Des corps épuisés. La chair rétablie dans le petit matin, éperdue, vague. On jette un regard vers les toits : vide, la ville prêt à occuper tout l’espace du jour. Tout le contraire est la maison vide : mais quoi ?
Je resterai toute l’après-midi dans le vide de la maison – plutôt que dans la maison vide, à regarder les lumières sur le sol basculer vers le soir, à apprendre les aspérités du jour sur le mur, à tâcher de voir ce que l’habitude me dérobera bientôt. Quand l’ombre ajouré des fenêtres aura tourné vers la nuit, je partirai.
Faire la conquête de ce jour : habiter un nouvel espace n’est pas différent de se lever chaque matin et sortir des draps défaits pour rejoindre l’épuisement du soir. Seulement, cette conquête possède pour elle le tremblement des premières fois et la silhouette d’une vita nueva. Demain, j’aurai su où iront les ombres sur le sol. Ce savoir me dépossèdera de l’espace que j’habiterai en maître et possesseur. Pour l’heure, je suis à sa merci. Je suis le corps dans les draps défaits. Je suis l’aube face au soir. Dans la maison vide aujourd’hui, je ne suis ni avant ni après, mais là.