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instamment, les guérisons (et la vie en dépeupleur)

dimanche 8 avril 2012


Elle, assise au milieu de cinq ou six autres, les uns à côté des autres, attendent, et l’un après l’autre, on dit leur nom, ils se lèvent, s’éloignent (depuis combien de temps ne suis-je pas allé chez le médecin ?). Elle est la seule à parler, je la vois bien, de là où je suis, qu’elle dit les mots qu’il faut, qui sous l’anodin dévoile la blessure la plus inavouable, celle qu’elle vient exposer parce qu’elle est là maintenant, au milieu des autres. La vie est un dépeupleur et la salle se vide. La salle d’attente du médecin est cette ville que j’habite, où je vais (moi, je la reconnais telle, j’étais là pour la voir). Dans la salle d’attente qui se vide peu à peu, il y a un palmier sur la droite, minuscule comme un bonzaï inguérissable. Il y a des magazines que chacun prend pour ne pas les lire, et surtout, pour ne pas avoir à parler. Elle, elle parle encore, un peu. Elle n’a pas besoin de les regarder. Puis, quand elle se tourne légèrement, elle réalise qu’elle est seule soudain, que tous ont été appelés, happés par le dehors du monde pour qu’on les guérisse d’eux-même, et nous aussi, on réalise soudain qu’elle est seul (souvenir d’un rêve d’enfant, un des rares qui m’ait été récurrent : se trouver dans une pièce emplie de visages familiers, et quelques secondes après, se rendre compte qu’elle est vide : depuis le début peut-être (mais il faudra être adulte ensuite, un peu, pour déchiffrer ses signes), et le noir sur tout cela, alors courir, mais où). À jardin, le médecin vient ranger les magazines au fond, l’aperçoit encore là, l’interroge : on ne vous a pas appelée : vous aviez rendez-vous ? Non, elle dit non, je n’avais pas rendez-vous, je vais bien. Je vais bien maintenant, et elle s’éloigne.

Ensuite, les lumières s’éteignent, et quand tout se rallume, qu’on est projeté de nouveau dans la réalité, l’actrice vient courir vers nous pour saluer, et les gens n’ont pas compris qu’il fallait justement se taire alors ils font du bruit avec leurs mains ; moi, je me lève immédiatement et je m’en vais. En descendant, ce panneau dans les escaliers, qu’on nous impose d’emprunter instamment, le mot résonne ici, le fleuve de l’autre côté de la fenêtre, passe lui aussi, instamment.

Le métro est vide, moi aussi, mais le ciel. Il y a de la brume, partout, dans le ciel. Lorsque je lève la tête une dernière fois avant de rentrer, quelque chose se déchire en moi, et je vois la pleine lune.